Méditerranée – 15/11/2024 – energiesdelamer.eu.

On s’y attendait un peu mais la COP 29 Climat couplée aux résultats de l’élection présidentielle américaine font le lit de l’inaction, pire de la régression en matière de transition écologique.

Il est toutefois rare que l’écart soit aussi grand entre un discours hors du temps et la réalité du terrain.

L’espace Euro-Méditerranée en est témoin. Les dérèglements climatiques sont sous nos yeux, de sécheresses estivales en déluges automnales. L’équilibre même de nos civilisations, occidentale, nord-africaine, méditerranéenne est en jeu. Nous sommes solidaires d’un Monde en commun qui s’effondre. La géohistoire braudélienne pèse peu face à une crise durable de notre Histoire naturelle où le temps des tempêtes s’accélère. L’ouragans Milton nous l’a rappelé cruellement il y a peu ; nous portons encore le deuil des inondations meurtrières du 29 octobre 2024, sur l’est de l’Espagne, et particulièrement la région de Valence.

Alors que faire ? Se désespérer ? Renoncer ? Au-delà des grippages de la COP29 et des menaces qui planent sur l’Accord de Paris de 2015, il faut sans doute revenir au terrain. Les acteurs clefs sont les collectivités territoriales et les entreprises pour faire face, envers et contre tout. Les Territoires sont tellement confrontés au mur des réalités qu’ils ne peuvent plus faire marche arrière, en particulier en Méditerranée où les inondations descendues des montagnes, celles qui ravagent l’arrière-pays niçois ou les hautes vallées dauphinoises, succèdent aux submersions venues de la mer avec le sel qui ronge la Camargue en prime.

Le cas des entreprises mérite une attention renouvelée. Ici, il faut évidemment concilier économie et écologie, pensez un écodéveloppement, bien différent d’une décroissance, faire de la transition écologique un « business ». Portée par le Pacte vert de l’Union européenne (Green Deal), la directive sur la responsabilité sociale des entreprises (directive 2022/2464/UE relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises dite CSRD) du 16 décembre 2022 va rentrer dans sa phase active dès 2025 pour les plus grandes entreprises avec un nouveau cadre de reporting. Selon nous, il s’agit d’une opportunité à saisir, en particulier pour l’essor de l’économie bleue.

Non seulement il va falloir examiner les impacts de l’entreprise sur l’environnement mais aussi les conséquences du changement de l’environnement sur les activités de l’entreprise. C’est le principe de double matérialité.

Il s’agit là d’une révolution dans l’approche des démarches RSE qui souligne la responsabilité écologique du secteur privé mais aussi sa sensibilité, voire sa fragilité : une usine de bord de mer sous les flots ; une centrale d’énergie sans prise d’eau, des bateaux de pêche échoués par la tempête, une production agricole sans récolte après une canicule.

La directive CSRD et l’exigence accrue qu’elle porte en matière de reporting sont une chance. Ne nous enfermons pas dans le juridisme, ni le catastrophisme. Pour peu de s’appuyer sur cette apparente contrainte réglementaire, nous pouvons en faire le cadre d’un projet stratégique pour l’entreprise et transformer les risques en opportunités. L’économie bleue, notamment avec ses énergéticiens de la mer ou du vent, est sans doute une des mieux placées pour s’adapter à la nouvelle donne climatique.

Une obligation ou une possibilité d’avantage concurrentiel ?

En tant que spécialiste du développement durable, nous croyons qu’il faut approcher la RSE à la manière d’un ingénieur et d’un géographe plus que d’un juriste. Posons-nous la question des impacts de l’activité sur l’environnement, franchement, sans œillère, afin de répondre à notre responsabilité sociétale avec l’ensemble des collaborateurs pour mieux relever les défis. Il s’agit de nous donner une dynamique de groupe, un projet d’avenir souhaitable pour nos ressources humaines, nos partenaires, nos actionnaires. Ensuite, viendra le temps de la formalisation juridique, dans le cadre d’un rapport qui n’est que la restitution formelle d’une prise de conscience. Le fond doit primer sur la forme car la RSE n’est plus un jeu d’apparence mais le vecteur d’une action rationnelle des entreprises. C’est au plus près de la réalité du terrain que nous résoudrons les problèmes. Au-delà des grandes conventions onusiennes, aux résultats plus ou moins positifs (ex. COP 16 Biodiversité de Cali, COP 29 Climat de Bakou), il faut aller de l’avant et passer de la réflexion à la décision puis à l’action.

La grande nouveauté de la directive CSRD est de poser la question des impacts du changement de l’environnement, en particulier du climat mais aussi de la biodiversité qui s’érode (cf. conclusions de la COP16 de la CDB qui vient de se conclure à Cali, en Colombie), sur les activités de l’entreprise. Il ne s’agit plus là de recycler les rapports RSE d’antan, ceux imposés par la directive européenne 2014/95/UE du 22 octobre 2014 sur le rapportage extra-financier.

Il faut ici innover, être parfois défensif mais aussi, le plus souvent offensif, en particulier dans le champ de l’économie bleue. Certains secteurs d’activités vont être négativement impactés par le dérèglement climatique.

Il va falloir repenser la localisation de certaines unités de production ; il va peut-être falloir arrêter, progressivement, certaines activités et les transformer, spécialement lorsqu’elles sont dépendantes des énergies fossiles, de plus ne plus rares et coûteuses.

L’industrie automobile est un bon exemple de la sensibilité de la transition écologique et adaptative. Certaines usines ne sont-elles pas imprudemment installées dans le lit majeur d’une rivière ? La motorisation thermique semble condamnée à céder sa place aux motorisations électriques. Il faudrait toutefois se donner du temps : 2035 est sans doute un peu court, 2050 plus réaliste, pour changer de pied sans que l’Europe ne perde sa part de marché au profit d’une Chine qui est partie très en avance de pratiquement rien et qui demeurera jusqu’en 2060 le plus gros émetteur de gaz à effet de serre de la Planète. Bref, prenons tout de même le temps de ne pas nous faire enfouir par des concurrents peu vertueux.

Pour l’économie bleue, singulièrement, la double matérialité est une opportunité pour prendre le large d’un développement qui est, par essence, positif en matière d’énergie et de matière première : promotion des éoliennes offshore, renouveau de la marine à voile technologique, développement du fret maritime et fluvial pour peu que la motorisation électrique ou à hydrogène vert abaisse encore son bilan carbone, essor de la pêche durable comme principale source de protéines animales, sans émission de méthane à la clef. Les énergies et les produits de la mer ont de l’avenir.

Dans ce vaste champ économique, il convient évidemment d’affiner l’analyse par secteur. Dans le domaine de l’énergie, en particulier des énergies de la mer (EMR), le cas des éoliennes offshore attire l’attention à la fois par son intérêt et sa complexité. La production d’électricité du vent, produite en mer, participe à l’évidence au défi de l’atténuation à relever. Pour autant, on perçoit des réactions parfois hostiles au développement des champs d’éoliennes, y compris les éoliennes flottantes qui sont pourtant peu impactantes sur le biotope. Nous pensons qu’il faut dépasser une vision trop globalisante pour rentrer dans le détail géographique de chaque implantation. En Méditerranée, on sait bien la sensibilité générale d’une mer fermée, par ailleurs soumise aux effets d’un réchauffement supérieur à la moyenne des autres océans. Pour autant, il faut avancer en produisant une énergie qui servira à la désalinisation de l’eau de mer à grande échelle. A chaque champ éolien sa particularité mais ne nous interdisons pas, par principe, de produire ici. Plus qu’ailleurs, au regard du déficit hydrique, les besoins énergétiques sont immenses et iront croissant. Une fois planifié, réfléchie en fonction du milieu, l’extension des champs offshore se fera pour le plus grand bien du climat (volet atténuation et aussi adaptation) sans porter atteinte aux biocénoses. Nous prônons donc, dans ce cas d’espèce, à un affinage territorial de la directive CSRD et une optimisation de son double bilan, de la double matérialité qu’elle porte. Il faut hiérarchiser les enjeux et les spatialiser pour sortir de l’immobilisme et avancer.

Plus généralement, nous considérons que l’exposition aux risques environnementaux, en particulier climatique, n’est pas qu’une mauvaise nouvelle. C’est aussi une source de croissance effectivement durable. Pour les pouvoirs publics, le coût de l’inaction climatique par rapport à l’anticipation et à l’adaptation est d’environ de 10 pour 1. La commande publique, en matière de BTP, de mobilité, de gestion de l’énergie et de l’eau ne peut qu’aller croissante.

Les contraintes budgétaires ne devraient pas toucher à la « dette écologique » chère à notre nouveau Premier ministre. Si on y prend garde, cette « dette » là, sera le déficit du compte de résultat des entreprises et des États demain. Du côté de nos concitoyens, il ne faut pas oublier non plus la prise de conscience qui s’opère, pas seulement chez les plus jeunes. Grands-parents, parents sont confrontés à l’angoisse climatique de leurs petits-enfants et enfants. Tous peuvent se retrouver les pieds dans la boue, sa maison emportée, un matin d’automne. Nous sommes toutes et tous solidaires d’un Monde en commun dont le climat se détraque.

Élargissons l’horizon de la responsabilité sociétale des entreprises et prenons le grand large de cette nouvelle directive européenne CSRD afin de transformer nos modèles d’affaires, conquérir de nouveaux marchés, répondre à nos clients au-delà d’un simple pensum juridique pour répondre à l’administration.

N’accélérons plus les dérèglements climatiques. Ne les subissons pas davantage. Ne nous résignons pas, ni aux catastrophes en termes de sécurité civile, ni à l’érosion de la biodiversité dont nous sommes parties. La biodiversité, c’est tout simplement la Vie. Laissons les COP à bas coût.

Captons l’énergie d’une transition écologique indispensable pour nous donner un nouvel élan, de nouvelles opportunités pour nos sociétés, un nouveau projet de Société. Laissons les chemins de mort qu’on nous vend. Empruntons un chemin d’espoir, un chemin de Vie.

Robin Degron, Magistrat de la Cour des comptes, Géographe, Directeur du Plan Bleu (PNUE Méditerranée)

 

POINTS DE REPÈRE

 

COP29: Agnès Pannier-Runacher ne se rendra pas à Bakou

Robin Degron a été nommé Directeur de Plan Bleu

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