France – 11/10/2024 – energiesdelamer.eu.

Maintenir un effort constant en faveur des énergies marines renouvelables, et permettre ainsi aux industriels d’éviter les « trous d’air » aux effets délétères : tel est, pour Philippe Berterottière, le Président du Comité stratégique de la filière des industriels de la mer, le cap que doivent absolument garder les pouvoirs publics.

Dans ce contexte, le lancement rapide de l’AO10 aura valeur de test…

Les différents acteurs du maritime – le Gican, Evolen et le SER – ont défini en  2018 avec Bercy une politique de développement, dans le cadre du Comité stratégique de filières des industriels de la mer que vous présidez. Elle comprend en particulier la filière énergies renouvelables en mer. Quelles sont les principales orientations de cette feuille de route ?

Avec cette feuille de route, nous visons le maintien d’une planification ambitieuse en matière d’énergies marines renouvelables, notamment avec le développement rapide de l’éolien offshore, l’appel d’offres AO10, qui doit représenter une capacité de 10 gigawatts sur les quatre façades maritimes, et que nous souhaitons voir lancé d’ici la fin de l’année ; la confirmation du pacte éolien en mer, qui prévoit 18 gigawatts raccordés en 2035 ; enfin, le lancement d’appels d’offres pour l’hydrolien.

Au plan industriel, l’objectif est de tirer parti du principe de « Zéro émission nette » de CO2 pour favoriser le plus possible le contenu local dans les appels d’offres et consolider l’ancrage européen des chaînes de valeur.

En quoi cette planification est-elle importante ?

Il y a pour notre pays un intérêt fondamental à disposer d’une énergie abondante et compétitive. C’est à la fois un gage d’indépendance et un outil de développement économique majeur pour l’ensemble de nos industriels. Et, dans ce contexte, les énergies renouvelables sont d’autant plus intéressantes qu’il s’agit d’énergies domestiques. L’Agence Internationale de l’Energie vient de publier un rapport qui prévoit que les énergies renouvelables pourraient produire près de la moitié de l’électricité mondiale d’ici 2030. Les opérateurs des énergies renouvelables en mer sont directement concernés, ainsi que la filière des constructions navales qui accompagne ce développement.

Aujourd’hui, tous les acteurs sont en attente des décisions de Bercy. Et certains d’entre eux ne cachent pas leur inquiétude, dans un contexte budgétaire très tendu.

Ne craignez-vous pas que la filière maritime fasse les frais de cette situation ?

Nous espérons que ce ne sera pas le cas, et qu’il n’y aura pas un creux plus important dans la planification.

Quand on souhaite mettre en place une politique industrielle, il faut avant tout être constant – même si l’on cherche à réaliser des économies.

Nous avons signé récemment un contrat stratégique pluriannuel de filière, et nous devons absolument maintenir cet effort dans la durée. On peut discuter des modalités, mais il faut à tout prix éviter les coups d’accordéon. Il n’y a rien de pire que le « stop and go », surtout pour une industrie qui est encore très fragile et doit faire face à une concurrence accrue de l’Asie. A partir du moment où vous avez la vision stratégique et la constance dans l’effort, vous pouvez attirer des industriels qui se mobiliseront. Sans cela, rien de solide ne peut être construit.

Quel peut être l’impact du contexte géopolitique et notamment des conflits en Ukraine et au Moyen-Orient, par exemple sur le prix des énergies fossiles comme le pétrole et le gaz ?

Pour le moment, le prix de pétrole n’a pas beaucoup augmenté – notamment parce que la Chine, premier acheteur mondial, connaît une relative stagnation économique et achète moins d’or noir. Mais les projets de développement – notamment de champs d’énergie fossile – sont arrêtés. Par ailleurs, la mer Rouge et le canal de Suez sont devenus des voies extrêmement dangereuses, ce qui contraint les navires marchands à passer par le Cap de Bonne Espérance et renchérit le coût du transport maritime. De plus, les primes d’assurance s’envolent.

Pour le gaz, les acheteurs opèrent surtout à long terme, et cherchent d’abord à remplir leurs réservoirs à l’approche de l’hiver. Là encore, les prix restent dans des zones raisonnables. Donc, pour l’heure, les tensions géopolitiques ont un impact limité. Mais depuis l’attaque du 7 octobre 2023, la conflictualité ne cesse de se développer, et la zone du Proche-Orient représente aujourd’hui un facteur de risque important pour les marchés de l’énergie et pour le trafic maritime.

Vous insistez sur le contenu local des projets éoliens. Comment est-il possible de renforcer ce contenu local ?

Je crois en effet qu’en France, nous ne défendons pas assez le contenu local de nos projets industriels. Par rapport à d’autres pays européens, japonais ou américains, nous sommes sans doute un peu trop « bons élèves ». Je suis convaincu qu’en jouant sur les deux leviers que sont une planification ambitieuse et une politique industrielle forte, nous pouvons créer les conditions d’un marché de premier plan autour des énergies marines renouvelables pour les 15 prochaines années. Nous pourrons ainsi offrir des perspectives à l’ensemble des acteurs, depuis les donneurs d’ordres jusqu’aux petits sous-traitants. Et cela permettra de mobiliser les écosystèmes locaux. Le Comité stratégique de filière est très soucieux de développer l’emploi en France.

Comment développer des écosystèmes locaux autour de l’éolien en mer ? Comment favoriser l’éclosion et le développement de petites et moyennes entreprises ?

Prenons l’exemple de La Rochelle : c’est un port qui a été littéralement transformé par l’arrivée des énergies marines renouvelables. La Rochelle a réussi à associer à cet essor un grand nombre de petites entreprises – davantage que dans certains grands sites portuaires. C’est dans cette voie que nous devons persévérer, avec le lancement de l’appel d’offres pour développer 10 gigawatts d’ici la fin de l’année, puis la perspective de 18 gigawatts supplémentaires à l’horizon 2035. C’est cette stratégie qui permettra notamment de mobiliser les petites entreprises.

La filière maritime affiche des besoins croissants de compétences. Parvient-elle à attirer assez de jeunes ? Le dispositif de formation est-il bien adapté à ses besoins ?

De façon générale, c’est l’industrie française dans l’ensemble qui souffre d’un déficit d’image, en particulier auprès des jeunes. Les industries de la mer n’échappent pas à ce problème. L’attractivité de nos métiers est encore trop faible, alors même que l’emploi se développe. Notre filière, il faut le souligner, offre des métiers passionnants, aujourd’hui très techniques. Ce sont des métiers qui font appel à des outils modernes, et qui sont bien rémunérés. Il faut donc en finir avec cette image passéiste des métiers de la mer et des métiers industriels en général.

Cela pose évidemment la question de la formation – un sujet qui nous mobilise beaucoup. La difficulté réside dans le faible nombre de candidats disposant à la fois d’un bagage technique solide et d’un certain savoir-être – un aspect de plus en plus important pour nos métiers. Pour y remédier, il faut mettre en place les formations adaptées. Et une fois qu’on aura réussi à attirer de bons éléments, il faudra les fidéliser.

Pouvez-vous miser sur des transferts de compétences en provenance d’autres secteurs – l’offshore pétrolier, par exemple ?

Ces transferts de compétences sont finalement assez peu nombreux. Dans certains cas, ils s’opèrent même au détriment de nos industries maritimes. La relance du nucléaire, par exemple, conduit certains professionnels à se tourner vers cette industrie. En réalité, dans un contexte général de pénurie de compétences, on observe une concurrence entre les différentes filières industrielles pour attirer les talents.

S’ajoute à cela, pour certains sites du littoral, un problème d’immobilier. La Rochelle, par exemple, attire de nombreux touristes, et voit les prix des logements augmenter fortement. Or les industriels doivent pouvoir offrir à leurs salariés une qualité de vie et des conditions de logement abordables.

Qu’attendez-vous des journées annuelles d’Evolen la semaine prochaine ?

Ce qui me frappe chaque année au cours de ces journées d’Evolen, c’est la présence de nombreux jeunes, qui sont intéressés par les questions d’énergie et surtout d’énergies renouvelables, mais aussi par les nouvelles technologies. Leurs attentes ne doivent pas être déçues par une politique hésitante.

Je note également la participation de beaucoup de jeunes entreprises à ces journées. Tout cela crée une atmosphère très dynamique et stimulante. C’est extrêmement encourageant et c’est l’avenir.

Propos recueillis par Brigitte Bornemann et Jean-Claude Lewandowski

(*) Philippe Berterottière est depuis juin 2022, vice-président du GICAN et, à ce titre, Président du Comité stratégique de la filière des industriels de la mer depuis novembre 2022. L’industrie navale est représentée par le Groupement des Industries de Construction et Activités Navales (GICAN), l’offshore et les énergies marines renouvelables sont représentés par EVOLEN et le Syndicat des Energies Renouvelables (SER).

Entre 2009 et juin 2024, Philippe Berterottière a été Président-Directeur général du groupe GTT, qui développe des systèmes de confinement pour le transport et le stockage de GNL.

La filière des Industriels de la mer représente environ 120 000 emplois directs en France et réalise 35,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont 50% à l’export.

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