France – 27/02/2023 –  energiesdelamer.eu. Les États membres de l’ONU ont débuté le lundi 20 février deux semaines de négociations pour tenter d’adopter d’un traité pour protéger la haute mer qui ne bénéficie que de très peu de protection. C’est la reprise de la 5 ème session de négociation de l’ONU à New York sur la haute mer qui couvre 2/3 de l’océan mondial et qui subit de multiples pressions. energiesdelamer.eu a demandé un l’éclairage au Pr Jean-Pierre Beurier, Professeur émérite à l’Université de Nantes, ancien Directeur du Centre de droit maritime et océanique de la Faculté de droit de Nantes. Membre du Conseil européen du droit de l’environnement (en 2001), membre du Conseil d’administration de l’Association La Touline et auteur notamment de l’ouvrage Droit international de l’environnement. (Editions Pédone Paris)

L’UICN souligne que parmi les enjeux majeurs se trouvent le projet d’adoption d’Aires marines protégées de haute mer. Les États se sont engagés à protéger au moins 30 % des océans de la planète d’ici 2030. L’atteinte de cet objectif mondial ne pourra se faire sans la haute mer, qui représente 64 % de la superficie des océans, et dont seulement 1,44% est protégé aujourd’hui.

Les études d’impact sur l’environnement

Les dispositions du projet de texte doivent permettre aux États d’élaborer des évaluations environnementales stratégiques pour constituer une base de connaissances et éviter les dommages environnementaux. Il convient de rechercher un système efficace de renforcement des capacités et de transfert de technologies marines, ainsi que de partage juste et équitable des avantages issus de l’exploitation éventuelle des ressources génétiques marines de la haute mer, pouvant être d’ordre monétaire ou non monétaire. Enfin, le traité doit favoriser la coopération et la cohérence des décisions prises pour la protection de la haute mer avec les Organisations régionales des pêches et l’Organisation maritime internationale.

Quels sont les enjeux de cette conférence qui se tient alors que par définition la haute mer est un espace libre dans le respect du droit international et où les États n’exercent pas leur souveraineté ?

Pr Jean-Pierre Beurier Université de Nantes

Il s’agit de traiter dans la haute mer de l’utilisation durable de la biodiversité marine au-delà des limites des juridictions nationales. Cette affaire a débuté en 2017, la dernière version du texte date du 12 décembre 2022. C’est une nouvelle et peut être ultime 5ème session de négociations à l’ONU qui doit se terminer le 3 mars 2023.
En 1973 a débuté la III° conférence des Nations unies sur le droit de la mer et après neuf ans de négociations a instauré des règles de navigation, d’exploration des fonds marins ou encore de règles de passages dans les détroits et crée le concept de zone économique exclusive.
La base évidemment c’est la Convention des nations unies sur le droit de la mer de 1982 qui a une partie entière ( la partie 7) sur la haute mer. C’est vraiment l’organisation du principe de la liberté de navigation, et de ses règles.

La deuxième partie du texte sur la haute mer dans cette convention concerne la conservation des ressources biologiques de la haute mer des ressources vivantes, de pêche.
Cinq articles en déterminent les règles. Les États ont l’obligation de coopérer et de se doter de moyens pour ne pas épuiser les ressources. Reste le problème des grands migrateurs c’est-à-dire les thons, les auxides, les thazars, principales espèces faisant l’objet des pêcheries de haute mer.
Un accord complémentaire à la convention de 1982 avait été signé à New York en 1995 sur ses grands migrateurs dans l’objectif du contrôle de la pêche.

La course aux gênes

La Convention sur la biodiversité signée le 5 juin 1992 à Rio, n’a pas pour objectif de limiter des tonnages de captures, mais de protéger la diversité des espèces vivantes. On ne recherche plus à limiter les quantités débarquées, mais on va rechercher la diversité des organismes vivants comme le plancton, voire des micro-organismes qui pourraient avoir une importance considérable en matière génétique et être utilisés par le génie génétique. La convention de 92 porte sur l’utilisation que l’on peut faire des ressources génétiques.
L’objectif consiste à protéger ces espèces pour l’avenir mais aussi à permettre aux États en développement de participer à de futures exploitations. La Convention, porte notamment sur le partage des avantage avec les pays en développement afin que les pays développés, capables de participer à cette course aux gènes, ne soit pas les seuls à en tirer bénéfice. Donc, sans que la biodiversité soit reconnue comme patrimoine commun de l’humanité, on se rapproche d’une volonté de partage équitable des avantages. La convention fonctionne mal comme on peut s’en douter, à partir du moment où des États avec des intérêts privés qui mettent de véritables fortunes dans la recherche, alors qu’il n’y a pas un projet sur 100 qui débouche sur un produit commercialisable, industriel, pharmaceutique ou cosmétique. Cette coopération internationale, qui est une obligation juridique dans la convention, reste un peu théorique. Dans le projet actuel concernant la haute mer, on est exactement dans le même schéma. Le projet reprend globalement les mêmes mécanismes que la convention de 92.

Les objectifs du projet de convention sont-ils atteignables et dans quelles conditions

Il y a six grands objectifs à appliquer dans le projet :

  • le principe du pollueur-payeur ce qui est plutôt une très bonne chose afin que les états ne puissent pas faire n’importe quoi en haute mer,
  • le respect du concept de patrimoine commun de l’humanité, c’est-à-dire que le sol et le sous-sol de la haute mer qui se trouvent sous la compétence de l’Autorité internationale des grands fonds marins (AIFM) qui gère l’accès à la Zone. L’exploitant doit passer par l’AIFM et donc il va falloir respecter ce principe de patrimoine commun de l’humanité pour les ressources qui se trouvent sur le sol et le sous-sol de l’océan. Le texte de la convention de 82 ne porte que sur les ressources minérales or là il s’agit des ressources vivantes donc il y a une ambiguïté : un micro-organisme qui est sur le sol dépend de l’Autorité Internationale des Grands Fonds Marins mais s’il est à un centimètre au-dessus il appartient à la haute mer, donc un exploitant est libre de s’en emparer, on comprend la complexité du problème.
  • Il est rappelé également un partage juste et équitable des avantages comme en 1992 pour la biodiversité terrestre et il n’est pas dit ouvertement que l’on va appliquer le principe de précaution, et c’est bien l’ambiguïté des termes employés par de l’ONU, on parle d’une « nécessité de précaution ». C’est dire ce que l’on voudrait, mais sans en faire une obligation juridique.
  • Enfin, il faut une approche intégrée du problème. Il convient de voir l’ensemble de la question pas simplement l’exploitation mais aussi la conservation. Il s’agit des ressources génétiques marines, il est bien dit que cela ne concerne ni le poisson, ni la pêche, puisqu’il y a d’autres textes internationaux qui en traitent. Il est dit que toutes les parties peuvent exploiter ses ressources génétiques marines mais dans le cadre de la future convention et dans ce cadre-là, il est dit que « toute collecte doit être notifiée à un Centre d’échange » on comprend donc qu’il faudra créer ce nouvel organe.

Un Centre d’échange ouvert en libre accès ?

Ce Centre d’échange, qui est une plateforme, aura une grande part informatique qu’il faudra gérer et qui serait en libre accès c’est la première difficulté : comment des laboratoires d’États qui vont aller collecter à grand frais des ressources planctoniques voire des bactéries, ou des virus, vont essayer d’étudier leur génome et peut-être découvrir dans les gènes ce qui auraient un intérêt commercial , vont-ils accepter de communiquer leurs données… « mes chercheurs ont été à tel endroit tel jour, à telle heure, ont utilisé telles technologies pour recueillir des échantillons et je vous donne toutes ces informations sur Internet et je mets les échantillons dans une banque de données qui est libre d’accès ». On pressent que cela ne va pas être très facile !
De plus, il faut protéger, comme cela était prévu en 1992, les connaissances des peuples autochtones qui depuis les années 90 cherchent à défendre leurs connaissances traditionnelles qui leur ont permis de découvrir des médicaments à base de plantes et donc refusent que ces connaissances ancestrales soient utilisées sans contrepartie par des intérêts financiers. C’est assez logique et on le comprend pour la diversité terrestre.
En haute mer on comprend moins bien le raisonnement, en effet il faudrait que des peuples autochtones aient eu accès à cette zone et aient utilisés des espèces particulières.
Cependant si effectivement une espèce dont l’aire de répartition se situe à la fois à la côte et en haute mer pourrait avoir été utilisée par des savoirs traditionnels, dans ce cas le même usage par une entreprise industrielle devrait faire l’objet d’un partage des bénéfices. On conçoit aisément que le cas soit plutôt rare.

Le juste partage des avantages suppose qu’il y a un libre accès aux données ce qui veut dire que les États en développement pourront eux-mêmes utiliser ces données au sein leur propre laboratoire ils n’auront pas besoin de financer la recherche mais également il faudra créer un mécanisme d’accès au partage des bénéfices si jamais un État développé ou l’un de ses laboratoires trouvent une application commerciale à l’usage d’un gène et donc ils devront partager les bénéfices avec les pays en développement, mais lesquels ? Lorsqu’il s’agissait de la biodiversité terrestre la recherche avait forcément été faite sur un territoire d’un État (exception faite du régime spécial de la recherche en l’Antarctique), mais en haute mer ou l’accès est libre pour tout le monde on ne voit pas bien comment répartir les avantages. Quels États pourront en bénéficier et sous quelle forme ? La réponse n’apparaît pas clairement. Quant aux aires marines protégées elles existent déjà dans les zones sous juridiction des États mais pour l’instant il était impossible d’en créer en haute mer parce seuls les États signataires auraient été concernés, les autres États n’auraient pas été obligé de les respecter. Leur efficacité aurait donc été très limitée.

Quels seront les bénéfices ?

Si cette nouvelle convention voit le jour ce sera une avancée importante du droit international : il est grand temps de protéger les coraux froids des grands fonds, la biodiversité autour des monts sous-marins, le long des chaines médio océaniques, qui présentent un grand intérêt scientifique. Le concept d’aires protégées est très intéressant, malheureusement son contenu actuel est ambigu car il ne limite pas l’activité de pêche. Dès lors on ne pourrait pas faire de la bioprospection dans les aires marines protégées qui pourtant ne nécessite que le prélèvement de quelques échantillons n’épuisant pas la ressource, par contre on pourrait continuer de chaluter !

Comment faire les évaluations ?

Il est indispensable de pratiquer des études d’impact avant toute exploitation afin de mesurer les conséquences de celle-ci sur le milieu. Ceci aussi bien que l’exploitation soit faite par un État ou une industrie privée. Mesurer l’impact réel de la collecte d’échantillons ne sera pas très facile à déterminer du fait de la fragilité des microorganismes. Ensuite il va falloir créer en plus de ce Centre d’échange un Organe scientifique et technique, un Comité
de renforcement des capacités pour les États en développement qui sera en charge du transfert des techniques ainsi qu’un Secrétariat. Ce seront les États membres qui devront contribuer au financement de l’ensemble. Déjà bon nombre d’États ont des difficultés à financer l’ONU, l’Assemblée Générale et toutes les Institutions spécialisées ainsi que les Conférences des parties d’un nombre croissant de conventions internationales. On comprend dès lors les difficultés qu’on les États à aboutir à un texte acceptable par le plus grand nombre. Les négociations durent depuis 2017 et butent sur les même problèmes : opposition entre États développés et en développement, répartition des compétences, financement des organes de gestion, partage des avantages.

Êtes-vous optimiste sur l’issue de cette 5ème conférence ?

Je crains que cela ne soit difficile d’aboutir à un accord global. Cependant il serait politiquement difficile pour la communauté internationale d’aboutir à un échec, mais je crains que l’on se contente d’une solution « d’entre deux » comme on l’a fait pour l’exploitation des grands fonds marins à propos des pouvoirs de l’Autorité internationale où finalement on a gardé le cadre juridique mais on a vidé de sa substance les articles qui étaient les plus gênants pour les États développés. Une réponse « moyenne » ne satisferait en fait personne. Cependant les négociations internationales sont parfois surprenantes et des évolutions sensibles peuvent avoir lieu dans les derniers jours. En tout cas, en attendant la fin des négociations voilà l’état du projet tel qu’il existe dans sa dernière rédaction.

 Photo de Une : copyright Shaun Low sur Unsplash

Propos recueillis par Brigitte Bornemann

POINTS DE REPÈRE

 

 

Convention des Nations Unies sur le droit de la mer dit de Montego Bay signé en 1982.

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