France – Mercredi 10/06/2020 et toujours à la Une d’energiesdelamer.eu, les réflexions publiées lundi 8/06/2020 – Partie 1 – Antoine Rabain, Bernard Multon et Michel Paillard apportent témoignages et observations. Pour cette journée mondiale de l’Océan, la rédaction a souhaité faire une large “revue de presse” sur l’éolien en mer et interroger trois spécialistes des EMR qui ont publié, il y a quelques semaines, un article chez notre confrère “Connaissance des énergies”, sous le titre « Mais pourquoi diable chercher à convertir des énergies renouvelables en mer ? » Réflexions sur le potentiel et la capacité des Energies Marines Renouvelables à contribuer à la transition énergétique mondiale et française en particulier.
Les dix derniers jours ont apporté des évènements majeurs pour la transition écologique, la transition énergétique et l’éolien en mer : La relance européenne de l’UE pour 2021-2027 et un nouveau fonds de relance, pour un montant total d’investissement de €1,85 milliard qui inclut énergies bleue, solaire et hydrogène, en France, pour la recherche, 8 M€ pour les EMR via l’ITE France Energies Marines dans le cadre du PIA, la commande des nacelles pour le parc éolien en mer de Saint-Brieuc d’Ailes Marines, la confirmation des décisions finales d’investissement pour l’usine Siemens Gamesa au Havre sur le Grand port maritime Le Havre – Haropa, celle de Fécamp d’EDF Renouvelables – Enbrigde – wpd : Et si nous parlions finances ? ITV de Cédric Le Bousse, au Pays-Bas, celui de Vattenfall pour Hollandse Kust Zuid (HKZ) 1-4 et dans la foulée, les confirmations pour les entreprises intervenantes …
energiesdelamer.eu a souhaité redonner la parole aux trois co-auteurs pour, d’une part, faire émerger de chacun, 3 messages clés qu’ils souhaitent que l’on retienne de leur article (20 pages) dans Connaissance des énergies (Partie 1), et d’autre part à partir de leur constat, partager avec eux une vision pour le développement des EMR dans les prochaines années. Trois questions fondamentales se sont imposées (Partie 2) : La course à la puissance pour l’éolien en mer, la place des EMR face au nucléaire et le développement des réseaux d’interconnexion, enfin les recherches à mener pour l’éolien en mer, alors que la technologie semble mature.
Quels messages clés doit-on retenir de article paru dans Connaissance des énergies ?
Antoine Rabain : une question difficile, tant nous avons souhaité balayer l’ensemble des éléments nécessaires pour que le lecteur, connaisseur ou non de ces sujets, se forge sa propre conviction sur l’opportunité de développer les différentes énergies de la mer, en France et à l’international.
Mais puisqu’il faut choisir, je soulignerais ici :
- D’abord la reconnaissance d’une “grande voix de l’énergie” du potentiel stratégique de l’éolien offshore pour mener à bien la transition énergétique mondiale : l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) l’a enfin établi l’année dernière, alors que de nombreux acteurs dont nous faisons partie le répètent depuis des années. Y compris en privilégiant d’abord et en priorité la sobriété et l’efficacité énergétique, un objectif de mix décarboné au niveau mondial fondé sur 80-100% d’ENR (ce qui est tout à fait possible d’ici à 2050) passera nécessairement par les énergies de la mer, et en particulier l’éolien offshore flottant, qui pourrait devenir à cet horizon la première filière en termes de production électrique, toutes énergies confondues (fossiles, fissiles, renouvelables) !
- Ensuite, je citerai la dynamique de baisse des coûts, qui a défié tous les pronostics depuis 10 ans, passant en moyenne de 150€/MWh (voire plus) à environ 50-60€/MWh en Europe, en particulier grâce à l’industrialisation des technologies mais aussi à l’ingénierie financière des projets. Attention cependant, comme nous le développons dans l’article, à la guerre commerciale que se livrent les opérateurs en place et au maintien de ces performances économiques dans le temps (les marges sont plus basses aujourd’hui afin de limiter les accès au marché pour les nouveaux entrants).
- Enfin, il nous a semblé important de couvrir l’ensemble des enjeux de développement de ces filières, et notamment les points durs qu’il est nécessaire de ne pas occulter : impacts sur la biodiversité marine, acceptabilité des projets de la part de toutes les parties prenantes (grand public, usagers de la mer,…), consommations de matériaux et extractions minières, EROI* (bien que pour ce dernier indicateur les données manquent encore sur ces filières), recyclabilité, coûts d’intégration réseaux, … le choix de documenter du mieux possible ces enjeux permet de souligner les progrès réalisés et la dynamique engagée au sein de ces différents marchés. Il me semble crédible aujourd’hui de dire sans nuance que l’éolien en mer fait référence à des perspectives mondiales très attractives. La filière n’a cessé depuis presque 30 ans maintenant de conforter graduellement son poids stratégique au sein du panel des solutions disponibles permettant de produire massivement de l’électricité non ou peu carbonée dans le monde. Il serait dommage que la France, y compris dans son rapport spécifique vis-à-vis de l’électronucléaire, n’en prenne pas part, à la fois pour répondre à ses propres besoins de transition, mais aussi pour valoriser à l’export les nombreux savoir-faire de ses industriels du domaine maritime et de celui de l’énergie.
Pour Bernard Multon, ses trois messages sont : Le potentiel énergétique majeur de l’éolien en mer, relativement aux autres filières EMR, la possibilité de très hauts facteurs de charge pour l’éolien offshore et la beaucoup trop faible capacité de la filière électronucléaire à lutter contre le dérèglement climatique au niveau mondial.
- Le potentiel énergétique majeur de l’éolien en mer, relativement aux autres filières EMR. En effet, un effort particulier a été fourni ici pour différencier les ressources primaires de chaque voie (flux d’énergie primaire disponibles dans la nature) et leurs potentiels techniquement exploitables (PTE), aussi bien justifiés et mis à jour que possible. Sachant désormais que les filières solaires photovoltaïques (terrestres pour l’instant et probablement marines dans un futur proche mais indéterminé) aisni que les éoliennes (terrestres et offshore) peuvent offrir aisément une contribution majeure à l’approvisionnement énergétique mondial (électrique aujourd’hui, et en gaz renouvelable à l’avenir), sur la base des PTE des filières EMR ainsi que de leurs diverses contraintes de mise en oeuvre, il apparaît clairement que seules les voies de l’éolien posé et, prochainement, flottant disposent des atouts de compétitivité grâce à la concomitance d’effets d’échelle favorables et à l’avance acquise en termes de maturité technologique. Ainsi, l’hydrolien marin, la houlogénération (PTE relativement modestes à l’échelle mondiale pour ces deux voies) et l’énergie thermique des mers (zones géographiques limitées, sauf en cas de production à bas coût de combustibles renouvelables) risquent de rester encore longtemps en retrait.
- La possibilité de très hauts facteurs de charge pour l’éolien offshore, pourvu que l’on dimensionne les machines afin d’améliorer ce critère, c’est-à-dire, en accroissant la surface balayée spécifique (en m²/kW, rapport de la surface de capture ou balayée sur la puissance nominale), comme cela se passe désormais à terre. En effet, il faut absolument bien intégrer le fait que la valeur du facteur de charge d’un parc éolien ne dépend pas que des caractéristiques éoliennes du site, mais également d’un choix essentiel de dimensionnement des éoliennes, à savoir le diamètre des turbines (définissant la surface balayée) relativement à la puissance nominale de la chaîne de conversion. Or aujourd’hui, les éoliennes offshore disposent encore de relativement faibles valeurs de surface balayée spécifique. A terre, on trouve désormais des machines qui dépassent les 6 m²/kW (soit environ 125 m de diamètre pour 2 MW), alors qu’en mer les plus grosses machines actuelles montrent des surfaces balayées spécifiques qui restent faibles : 2,5 et 3,2 m²/kW respectivement pour la MHI-Vestas V164-8.4 MW et pour l’Haliade X de 12 MW (et dorénavant la 14 MW).
- La beaucoup trop faible capacité de la filière électronucléaire à lutter contre le dérèglement climatique au niveau mondial. Cette filière fait partie, au côté des renouvelables, des solutions de décarbonation de la production d’électricité, voire de combustibles, mais elle se révèle très en retrait en termes de potentiel.
D’abord, en termes de ressources et réserves, sur la base de la filière technologique de fission de l’uranium 235 ne permettrait de ne remplacer qu’environ 17 années de production d’électricité d’origine fossile au rythme 2018. Ensuite, ses coûts de déploiement sont constamment revus à la hausse, notamment pour prévenir les risques d’accident (courbe d’apprentissage inversée) contrairement aux filières solaires photovoltaïques et éoliennes qui continuent à progresser. Enfin, en termes de risques économiques et environnementaux : l’accident majeur, même si sa probabilité est extrêmement faible, n’est ni assurable ni acceptable et il n’y a toujours pas de solution acceptable pour “gérer” les déchets radioactifs, qu’ils concernent ceux de haute activité (faible partie du combustible usé) ou de plus faible activité (déchets miniers, majeure partie du combustible usé et démantèlement). Ainsi, au sens du développement durable, la filière électronucléaire est beaucoup moins soutenable que celles renouvelables.
Pour Michel Paillard, pour cette même question, sur un texte discuté ensemble “conduit à des redondances avec, évidemment, quelques nuances”. Il revient donc seulement sur l’historique de ce projet à trois et sur deux points qui furent importants pour moi.
- J’ai participé aux débuts des EMR dans les programmes du CNEXO (Centre National pour l’EXploitation des Océans) puis de l’Ifremer dès le début des années 80. Suite à la sollicitation d’un éditeur pour actualiser un ouvrage d’une dizaine d’années**, l’envie de partager, à la fois un historique, une expérience et une vision issus de ce parcours, m’avait amené à proposer un petit ouvrage sur les EMR. Finalement, j’ai préféré proposer à deux autres spécialistes de former un trio à l’expertise complémentaire en vue d’une publication commune. C’est ainsi qu’a été initié ce projet de texte dont le contenu a été discuté et la rédaction partagée autour d’une vision commune. Bernard Multon ne connaissait pas Antoine Rabain alors que j’avais rencontré Bernard au début des années 2000 dans le cadre du Club ECRIN. J’avais déjà publié avec lui mais jamais avec Antoine. Bernard nous a convaincu de la meilleure pertinence d’un article, percutant sur les messages, qui serait diffusé en accès libre en ligne, donc beaucoup plus lu, a priori, qu’un petit ouvrage. C’est ce qu’on espère.
- Je ne reviendrais que pas sur ce qu’ont écrit Bernard et Antoine. Personnellement, j’ai veillé à ce que les aspects environnementaux et sociétaux soient bien présents dans l’article. C’est sans aucun doute dans ma « culture » Ifremer. On peut regretter que certains aspects ne soient pas suffisamment développés, d’autres peut-être un peu trop. J’en suis évidemment bien conscient, mais un article à trois est un compromis, à la fois au niveau du contenu et de sa longueur qui doit être acceptable pour un éditeur et surtout pour le lecteur que nous souhaitons atteindre.
- Un des points que je tenais absolument à développer dans cet article, et je n’étais pas le seul, c’est le positionnement des filières EMR au sein de l’ensemble des filières énergétiques de façon factuelle, non polémique et surtout non militante. Replacer la filière nucléaire dans sa réalité est un des points forts de cet article car il y a tellement de contre-vérités qui circulent qu’il est urgent de revenir aux faits, aux chiffres, aux risques. Et ceci à la veille d’investissements colossaux qui peuvent nous mener à une impasse économique et environnementale. Les récents rapports de l’AIE apportent un soutien précieux à la crédibilité de notre approche.
Points de repère
- L’ «Energy Return On Investment (Eroi) » est le ratio entre l’énergie utilisable et celle consommée pour l’obtenir
* Connaissance des énergies – 24/04/2020 – Mais pourquoi diable chercher à convertir des énergies renouvelables en mer ?
** Marine Renewable Energies. Prospective foresight study for 2030 – Michel Paillard (coordination éditoriale), Véronique Lamblin (coordination éditoriale), Denis Lacroix (coordination éditoriale), 2009, éd. Quæ.
*** Une journée “Doctoriales” a été organisée par le GP5 Ancre en octobre 2019 et donne un état des lieux factuels sur l’état des lieux du paysage de la recherche en France. energiesdelamer.eu a publié un numéro dédié « Un océan de recherche (s) : Une industrie et des chercheurs en action » où 19 jeunes chercheurs prennent la parole. Joël Spaes (rédacteur en chef), Sylvain Roche (coordination scientifique), éd. MerVeille Energie #2
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