France – Vendredi 03/08/2018 – Interview de Michel Cruciani, « Chargé de mission » au Centre de Géopolitique de l’Energie et des Matières Premières (CGEMP) de l’université Paris-Dauphine, chercheur associé à l’IFRI. Le développement de l’éolien en mer du Nord dépendra-t-il également des interconnections entre pays européens ?
Cette semaine a encore été marquée en France par les énergies marines hydroliennes qui ont « alimenté » le flux de l’actualité. La synthèse hebdomadaire qui sera publiée ce soir le démontra une nouvelle fois. Mais, il conviendrait de ne pas oublier que la restructuration des sociétés et les accords entre pays européens pour la gestion des réseaux de distribution d’électricité et le développement de l’éolien en mer sont intimement liés.
Michel Cruciani publiait le 16 juillet dernier une étude sur « L’essor de l’éolien offshore en mer du Nord : Un enjeu stratégique pour l’Europe » à l’IFRI, sur l’éolien en mer en Mer du Nord.
Le contexte : extraits
« La mer du Nord a offert un cadre propice à la conception des premières éoliennes offshore du monde. Sa partie méridionale jouit en effet d’un excellent régime des vents et d’une faible profondeur des eaux. Les politiques publiques ont progressivement encouragé le développement de cette filière dans les cinq pays les mieux situés : l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Fin 2017, ces pays cumulaient 15,5 gigawatts (GW) de capacités installées, soit 82 % de la puissance éolienne offshore mondiale. En dehors de l’Europe, seule la Chine détenait un parc significatif à cette date, avec 2,8 GW en service (15 % de la capacité mondiale)….
… Les besoins en interconnexions entre les pays concernés, dont la capacité devrait quasiment doubler d’ici 2040, illustrent la complexité du dossier…
… En l’absence d’une bonne coordination, on peut craindre que la ressource hydroélectrique de la Norvège, par exemple, très complémentaire à l’énergie éolienne, ne soit pas intégrée de manière optimale dans le système électrique. L’incertitude est accrue par la décision du Royaume-Uni, pays occupant une place majeure en mer du Nord, de quitter l’Union européenne (UE), rendant imprévisible sa participation aux instances communes….
… La compétitivité accrue de l’éolien offshore ouvre des perspectives de développement considérables en mer du Nord, mais celles-ci butent sur les difficultés et les coûts constatés pour renforcer les réseaux de transport électriques, indispensables à l’évacuation du courant produit. Les besoins en interconnexions entre les pays concernés, dont la capacité devrait quasiment doubler d’ici 2040, illustrent la complexité du dossier. Leur coût total pourrait être réduit par une bonne coordination entre États, mais aucun organe de concertation ne dispose des leviers appropriés, chaque gouvernement définissant ses objectifs et modalités de soutien de manière indépendante. En l’absence d’une bonne coordination, on peut craindre que la ressource hydroélectrique de la Norvège, par exemple, très complémentaire à l’énergie éolienne, ne soit pas intégrée de manière optimale dans le système électrique. L’incertitude est accrue par la décision du Royaume-Uni, pays occupant une place majeure en mer du Nord, de quitter l’Union européenne (UE), rendant imprévisible sa participation aux instances communes…
Tout en préservant la dynamique de l’offshore en mer du Nord, il appartient donc aux institutions communautaires de l’équilibrer par une attention aux régions moins favorisées. Il s’agit ainsi de soutenir davantage les efforts sur l’éolien flottant pour les zones océaniques difficiles et d’accorder d’autres formes d’aides aux pays enclavés, sans façade maritime. Des prévisions optimistes indiquent que la mer du Nord pourrait fournir jusqu’à 50 % de toute l’électricité consommée dans l’UE ; il semble peu probable que l’on y parvienne sans associer l’ensemble des États membres à l’exploitation de ce gisement ».
EDM – En 2009, lors du sommet de Copenhague, les ministres de l’Energie de neuf pays européens (Grande-Bretagne, Allemagne, France, Pays-Bas, Suède, Danemark, Belgique, Irlande et Luxembourg) ont signé, un accord pour construire un réseau de lignes à haute tension en mer du Nord et en mer d’Irlande, qui reliera les parcs éoliens offshore dont la construction se multiplie dans cette zone.
Où en sont ces accords aujourd’hui ?
Michel Cruciani – L’accord de 2009 exprimait la volonté des signataires de se doter d’une base de connaissances communes. Dans son prolongement, trois groupes de travail ont été institués ; ils ont rendu leurs conclusions entre 2011 et 2014. Une conférence organisée le 23 Octobre 2015 a relancé le processus et conduit à une déclaration politique des pays concernés le 6 Juin 2016, établissant un nouveau programme de travail pour la période 2016 – 2019. En dehors de la participation, sur une base purement volontaire, aux études communes, cette déclaration ne crée aucun engagement pour les signataires.
Le Royaume-Uni, dispose déjà d’interconnexions électriques avec la France, l’Irlande et les Pays-Bas. En mars 2015, National Grid et son homologue belge, Elia, ont signé un accord portant sur la construction d’un autre câble sous-marin (de 1.000 MW de capacité) pour relier la Belgique au Royaume-Uni. Deux autres projets ont été signés avec RTE pour la France (façade Manche) et avec le Danemark. Les interconnections entre National Grid et le norvégien Statnett pour le projet NSN(2), seront opérationnelles en 2021.
Pensez-vous que le Royaume-Uni sera la plate-forme d’échange des interconnections énergétiques des pays de la mer du Nord ?
Michel Cruciani – Le Royaume Uni détenait 53 % des capacités éoliennes offshore installées en Europe à fin 2017, et cette seule donnée suffirait à justifier un développement des interconnexions, car toutes les énergies à caractère variable requièrent une haute densité de réseau pour offrir des conditions d’exploitation optimales. Une seconde raison explique que plusieurs pays souhaitent renforcer leurs liaisons avec la Grande Bretagne : le prix de l’électricité sur les marchés de gros y atteint souvent un niveau plus élevé que sur le continent. Dans ces deux cas, le Royaume Uni ne constitue donc pas un pays de transit, mais de départ ou d’arrivée du courant. Cependant, le Brexit crée des incertitudes nouvelles. Plusieurs des interconnexions prévues devaient bénéficier d’aides communautaires au titre des Projets d’Intérêt Commun ; ces aides seront-elles maintenues après le départ du Royaume Uni ? Ce pays acceptera-t-il toujours les règles communautaires qui s’appliquent à la gestion des interconnexions, et dans la négative, quels seront les tarifs d’utilisation des liaisons ? Faute d’accord, l’électricité produite en Grande Bretagne menacerait l’indépendance énergétique de l’UE au même titre que le gaz produit en Russie…
Est-ce que l’Europe de l’énergie se construit à travers les parcs éoliens offshore ?
Michel Cruciani – Le gisement offshore de Mer du Nord offre effectivement un terrain propice à une politique commune. Jusqu’à présent, le cadre commun est resté relativement vague, se bornant pour l’essentiel à imposer des appels d’offres avant l’attribution des aides. Toutes les autres décisions, y compris les modalités pratiques de ces appels d’offres, demeurent au niveau national. Pour atteindre le niveau d’intégration que la Commission définit par « L’Union de l’Energie », il conviendrait que les futures réalisations associent plusieurs Etats, et notamment des Etats non riverains de la Mer du Nord. Le « Paquet Energie Propre » encourage ces formes d’association, mais il semble peu probable que les pays qui ont pris de l’avance ouvrent leurs rivages à des projets conjoints avec des partenaires plus lointains et moins expérimentés. Sur le plan industriel en revanche, de nombreux opérateurs qui ont débuté dans l’offshore de Mer du Nord ont maintenant acquis une envergure européenne, voire mondiale.
Interview réalisée par BB – energiesdelamer.eu
Points de repère
Illustration : Interconnections CRE 12/06/2018
02/08/2018 – Fiche pédagogique de l’OIE – juillet 2018 : L’adaptation des réseaux de transport et de distribution d’électricité français réalisée sur la période allant de 2017 à 2030 prévoit qu’ils nécessiteront entre 5,9 et 6,3 Mds € d’investissement par an ainsi que le mentionnait la note de synthèse de l’UFE de janvier 2018.
02/08/2018 – TYNDP – Etude prospective 2020 Réseaux gaz et Electricité en Europe
30/07/2018 – La restructuration financière d’Eurogrid International (« Eurogrid »), la société holding du GRT allemand 50Hertz Transmission GmbH (« 50Hertz ») est en cours avec Elia et la banque KfW.
27/07/2018 – Lisbonne – Développement des interconnexions énergétiques entre la France, l’Espagne et le Portugal. Délaration suite à la réunion des trois chefs d’Etat français, espagnol et portugais du Commissaire européen chargé de l’action pour le climat et de l’énergie, et de la vice-présidente de la Banque européenne d’investissement (BEI), qui, était également présente lors de cette rencontre.
16/07/2018 – Etude de l’IFRI – L’essor de l’éolien offshore en mer du Nord : Un enjeu stratégique pour l’Europe par Michel Cruciani
19/06/2018 – Nouvelle étape pour les études en mer pour le projet d’interconnexion électrique Celtic Interconnector, entre l’Irlande et la France, est lancée, portée par RTE et EirGrid.
28/09/2017 – L’amendement adopté le 21 septembre 2017 mandate RTE pour gérer et réaliser les raccordements des parcs éoliens en mer au réseau terrestre. Les développeurs sont déchargés de cette opération.
20/03/2017 – Allemagne, Danemark, Pays-Bas – Le Sea Wind Power Hub de la mer du Nord en juin 2016. Le développement d’un grand réseau électrique européen renouvelable en mer du Nord sera confirmé le 23 mars à Bruxelles à l’occasion du North Seas Energy Forum. Mel Kroon président de TenneT TSO B.V. et Torben Glar Nielsen d’Energinet.dk signeront un accord à Bruxelles lors du Forum Energie des Mers, en présence de Maroš Šefčovič, Commissaire européen chargé de l’Union de l’énergie.
11/06/2015 – Intertek assurera le suivi et la certification de la mise en place par National Grid et Statnett du projet NSN, infrastructure sous-marine reliant le Royaume-Uni et le réseau d’électricité norvégienne.
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