France Bercy – 12/09/2024 – energiesdelamer.eu.
Mes chers amis, je pars.
Comme dirait Michel Sardou, je vous aime, mais je pars.
Avant de partir, je tenais à vous inviter pour vous remercier toutes et tous du fond du cœur : sans vous, rien n’aurait été possible.
A mon ou mes successeurs, je souhaite le meilleur dans la mission qui leur sera confiée, comme je souhaite le meilleur à Michel BARNIER et à sa nouvelle équipe gouvernementale.
Je pars avec le sentiment profond que ces 7 années ont été utiles pour la France.
Cela aura été un honneur dans ma vie politique d’occuper les fonctions de ministre de l’Economie et des Finances pendant plus de 7 ans.
*
Je veux donc marquer ma reconnaissance sincère et profonde au Président de la République.
Monsieur le Président, en mai 2017, vous m’avez tendu la main, année après année vous m’avez confié un ministère aux responsabilités toujours plus larges : je ne l’oublie pas.
Merci pour votre confiance.
En me nommant, vous m’aviez fixé une mission : transformer l’économie française.
Année après année, obstinément, laborieusement, consciencieusement, nous avons engagé cette grande transformation économique de la France.
Contre la valse des impôts, nous avons fait le choix de la stabilité fiscale, contre le déclassement des classes moyennes, nous avons revalorisé le travail, contre les délocalisations de masse, nous avons engagé la réindustrialisation des territoires, contre le Frensh bashing, nous avons fait de la France la nation la plus attractive en Europe.
Nous avons fait le maximum pour que la France des entrepreneurs, des scientifiques, des ingénieurs et des ouvriers, des commerçants, des agriculteurs, des créateurs et des artisans, reprenne confiance en elle.
Cette grande transformation économique ne doit pas être une parenthèse dans la vie de notre nation. Elle doit être le socle de nos ambitions économiques nationales futures.
Car cette grande transformation nous a fait réussir parmi les autres nations en Europe.
Depuis 7 ans, la croissance cumulée de la France est supérieure à celle de la Grande-Bretagne, de l’Italie ou de l’Allemagne.
Depuis 7 ans, le chômage baisse, des usines vertes ouvrent, les investisseurs viennent, l’inflation est repassée sous les 2%.
Depuis 7 ans, la France enregistre des résultats économiques que nous devons confirmer dans les années à venir.
*
Pour obtenir ces résultats, le Président de la République, les Premiers ministres successifs, Édouard PHILIPPE, Jean CASTEX, Élisabeth BORNE et Gabriel ATTAL m’ont donné ce qui est la condition nécessaire de tout succès en politique : le temps.
Le temps long est une force et une vertu.
Le temps long de la politique économique rassure les entrepreneurs, qui ont besoin de stabilité.
Le temps long de la politique fiscale donne la visibilité nécessaire pour investir, consommer, par conséquent soutenir la croissance.
Le temps long évite les embardées, les humeurs, les modes, les querelles, les polémiques, les changements de pied incessants qui sont trop souvent le lot de notre vie politique nationale. *
Maintenant je vous dis ma conviction : la France ne doit pas revenir en arrière.
La France ne doit pas revenir en arrière sur le rétablissement de ses comptes publics.
Elle doit continuer de se fixer pour objectif de revenir sous les 3% de déficit en 2027.
Après les crises, nous avons pris une ligne de fermeté sur les comptes publics. Cela ne nous vaut pas que des amis. Pourtant la
sagesse recommande de tenir cette ligne, de réduire la voilure des dépenses, d’en étaler certaines, d’en reporter d’autres.
Toute autre décision conduirait mécaniquement à augmenter les impôts ou à plonger la France dans des difficultés financières aiguës et immédiates.
En matière de finances publiques, depuis 7 ans, nous avons connu trois phases : le rétablissement des comptes de 2017 à 2019, qui nous a permis de repasser sous les 3% de déficit, grâce au travail efficace et déterminé que nous avons mené avec Gérald DARMANIN ; la protection face aux crises de 2020 à 2022, qui a entraîné des dépenses nouvelles, massives et nécessaires face à un effondrement de notre production économique et à la flambée des prix ; le retour à la normale enfin depuis 2023.
Dans notre histoire financière, le virage du retour à la normale est toujours le plus difficile à négocier. Tout le monde réclame de l’ordre dans les comptes, personne ne propose des économies. Tout le monde veut le désendettement, personne ne soutient nos réductions de dépenses.
C’est l’hypocrisie française : on veut de la dette en moins et des dépenses en plus.
Pourtant ce sont des somnambules, ceux qui proposent de dépenser toujours plus d’argent public.
Ce sont des somnambules, ceux qui promettent de revenir sur la réforme des retraites sans toucher à la feuille de paye ni aux pensions et en promettant plus de pouvoir d’achat.
Ce sont des somnambules, ceux qui dénoncent l’austérité dans une France qui redistribue sa richesse plus largement que n’importe quelle autre nation.
Le réveil sera douloureux. Pas pour les somnambules, mais pour la France. Car le sommeil conduit toujours à la servitude.
La France ne doit pas revenir en arrière non plus sur les impôts.
Malgré nos 55 milliards d’euros de baisses d’impôts depuis 2017, sur les ménages comme sur les entreprises, la France garde un niveau de pression fiscale parmi les plus élevés au monde. Pourtant à écouter les commentaires, les recommandations des spécialistes, les avis des conseilleurs qui ne sont jamais les payeurs, la plus grande pente reste toujours de relever les impôts.
Ne cédons pas à cette facilité.
Si nous voulons livrer un combat fiscal, livrons-le au niveau international : taxons à un juste niveau les plus grandes fortunes de la planète. Nous avons mené avec succès deux combats majeurs sur la fiscalité internationale : la taxation des géants du numérique et la taxation minimale des multinationales. Battons-nous pour gagner ce troisième combat : voilà un défi à la hauteur de la France !
La France ne doit pas revenir en arrière sur le travail.
Pour la première fois depuis un demi-siècle, le plein emploi en France est à portée de main. Il est une condition de notre sérénité collective, de notre liberté de destin.
Continuons par conséquent de nous fixer comme objectif le plein emploi en 2027.
La France enfin ne doit pas revenir en arrière sur la réindustrialisation.
Nous avons inversé une tendance lourde de 40 années de délocalisations industrielles. Peu à peu la France renoue avec sa vocation de grande nation manufacturière, innovante, audacieuse : une grande nation de production.
Nous devons faire passer de 10 à 15% la part de l’industrie manufacturière dans notre richesse nationale.
Pour cela, gardons un cadre fiscal attractif pour les entreprises.
Continuons de valoriser et de promouvoir l’énergie nucléaire, que nous avons replacée au cœur de notre stratégie énergétique nationale et européenne. Accélérons la construction des 6 nouveaux EPR, développons les renouvelables, ce sont les conditions pour préserver notre atout numéro 1 de compétitivité : un prix bas pour une énergie décarbonée et sûre.
*
Plutôt que de défaire, regardons par conséquent ce que nous pouvons faire mieux.
On peut toujours faire mieux.
Même si nous avons donné le maximum, certainement que nous aurions pu faire mieux à de nombreuses occasions.
On peut et on doit faire mieux dans au moins trois domaines. Premier domaine : les salaires.
La question des salaires sera la grande question sociale des 25 prochaines années. Redonner un espoir salarial à toutes celles et tous ceux qui travaillent, voilà le défi français.
Cet espoir salarial, il se construira dans la réduction des écarts entre salaire brut et salaire net, dans une refonte en profondeur de nos allègements de charges, par une remise à plat de notre modèle social.
Notre modèle social ne peut plus être financé à titre principal par les contributions sur le travail. Sans quoi le travail ne sera plus une liberté, mais une contrainte, plus la clé des rêves, mais une source de découragement.
Sur le long terme, cet espoir salarial dépendra aussi de notre capacité à élever le niveau de formation global, à donner de nouvelles qualifications, à accélérer la réindustrialisation de la France.
Pour augmenter durablement les salaires, il faut augmenter fortement la productivité du travail.
Deuxième domaine d’amélioration : le climat.
Nous avons fait beaucoup pour le climat. Nos émissions baissent, notre croissance se maintient – preuve que climat et croissance sont compatibles.
Mais beaucoup pour le climat, cela ne suffit pas.
Il faut plus encore.
Tout notre outil de production, toute notre innovation, notre recherche, nos grands acteurs bancaires et assurantiels, nos champions du bâtiment, de la construction, du transport, du traitement des eaux, de l’énergie, doivent se mettre au service de cette immense révolution de la transition énergétique et de la lutte contre le réchauffement climatique. Ils le font déjà. Nous devons les accompagner pour faire davantage encore.
Avec un objectif collectif : être la première grande économie 0 émission en Europe en 2040. Objectif ambitieux ? Mais les grandes ambitions n’ont jamais fait peur à la France. Au contraire : nous sommes un peuple pionnier. Nous aimons l’aventure et la grandeur.
Troisième domaine d’amélioration : le financement de notre économie.
Nous manquons de financements privés en Europe pour faire face à la double révolution technologique et climatique.
Si nous voulons que le continent européen joue dans la même cour que les États-Unis et la Chine au XXIème siècle, nous devons améliorer le financement de notre économie et le diversifier.
Nous devons alléger les contraintes réglementaires qui pèsent sur les banques et les assurances.
Nous devons sans délai mettre en place l’union des marchés de capitaux, trouver les financements nécessaires pour nos pépites technologiques, améliorer notre productivité.
Notre productivité européenne chute depuis 20 ans quand la productivité américaine flambe. Plus d’innovation, plus de formation, un meilleur niveau éducatif, ce sont les conditions du rétablissement de notre prospérité collective. Nous ne pouvons pas lambiner quand les autres puissances galopent. Je partage à 100% les inquiétudes de Mario DRAGHI sur la lenteur européenne et sur le risque de décrochage de notre continent.
*
Ma reconnaissance va aussi ce matin aux ministres qui se sont succédés à mes côtés depuis 7 ans.
Je vois Delphine GENNY-STEPHAN et Benjamin GRIVEAUX. Je salue Marlène SCHIAPPA avec qui nous nous sommes battus pour l’égalité femmes / hommes. Je veux dire un merci particulier à Olivia GREGOIRE, qui m’accompagne depuis 4 ans, à Roland LESCURE, à Thomas CAZENAVE et à Marina FERRARI pour leur bonne humeur et leur engagement sans faille à mes côtés. Toutes et tous, vous avez été réélus aux dernières élections législatives. Toutes et tous vous avez devant vous de magnifiques parcours politiques.
Les trajectoires fulgurantes de Gérald DARMANIN et de Gabriel ATTAL montrent combien cette maison valorise les talents – et le vôtre est immense.
Ma reconnaissance va aux membres de mes cabinets successifs, qui ont beaucoup sacrifié pour cette grande et belle aventure politique qui leur doit tant. Elle va à mes trois directeurs de cabinet Emmanuel MOULIN, Bertrand DUMONT et Jérôme FOURNEL, à qui je souhaite le meilleur à Matignon.
Elle va aux élus locaux, aux députés et aux sénateurs de la majorité, dont le soutien sans faille nous a permis de faire adopter sans encombre des textes aussi importants que la loi PACTE, la loi Influenceurs, ou la loi Industrie verte.
Je vois de nombreux maires venus de tous les coins de France : merci de votre présence.
Je salue les députés Sylvain MAILLARD, Jean-René CAZENEUVE, Charles SITZENSTUHL, Prisca THEVENOT, David AMIEL, Maud BREGEON, Marie LEBEC, Jean-René CAZENEUVE, Moerani FREBAULT, Astrid PANOSYAN, Eléonore CAROIT, Xavier ROSEREN, Sébastien HUYGHE : pardon pour ceux que j’oublie et merci de votre présence un jeudi, jour de circonscription.
Le temps nous a manqué pour la loi simplification. Ne baissez pas les bras ! Nos entreprises et nos salariés ont besoin de simplification à tous les étages.
Je veux adresser un remerciement tout particulier à François PATRIAT à qui me lient le goût de la Bourgogne, du vin, des climats et de la générosité humaine.
Ma reconnaissance va aux présidents et rapporteurs généraux des deux commissions des Finances de l’Assemblée nationale et du Sénat : nous avons longuement débattu, parfois vivement – encore lundi dernier – mais toujours dans le respect mutuel.
Elle va aux syndicats de salariés, aux organisations patronales avec lesquels nous avons travaillé en bonne intelligence.
Elle va aux journalistes. Votre mission a toujours été importante pour la démocratie. Elle est devenue essentielle à l’heure où la frontière entre la vérité et le mensonge s’efface – parfois disparaît.
Ma reconnaissance va à vous.
Elle va à chacun de vous, les 130 000 agents du ministère, techniciens, contrôleurs, douaniers, statisticiens, juristes, informaticiens, économistes qui font la force de cette maison.
Vous traitez de tout, partout, tout le temps. Vous êtes exigeants. Vous êtes rigoureux. Vous touchez de la terre au ciel, du prix des denrées alimentaires à la réalisation des champs éoliens offshore, de la date des soldes au lancement d’Ariane 6, de la traque des trafiquants de drogue à la protection du consommateur, du sauvetage d’une PME en détresse à la construction d’un laboratoire de calcul quantique, de la feuille d’impôt d’une retraitée en difficulté à l’augmentation de la quote-part de la France au FMI.
Votre honneur est là : servir la France avec le même engagement à la direction départementale des finances publiques de Vesoul comme au bureau du FMI à Washington.
Servir, voilà le plus beau mot de la politique.
Servir la France et les Français, cela a été ma fierté, chaque heure de chaque jour de chaque année depuis 7 ans.
Servir la France et les Français, cela a été, cela est et restera votre marque de fabrique – je le sais.
Nous nous sommes trouvés dans ce sens du service.
Je vous quitte avec un serrement au cœur. Vous avez été le sel de ma vie professionnelle.
Merci.
*
Quand on part, on vous pose beaucoup de questions.
On vous demande ce que vous regrettez, ce que vous auriez fait différemment, ce que vous n’auriez pas fait, votre plus grande erreur, votre plus grande réussite : je ne suis pas un homme de regret, je regarde devant moi.
Parmi ces questions, il y en a une qui revient très souvent : quel a été votre moment le plus intense ?
Je pourrais répondre : le jour où le Premier ministre israélien s’est retrouvé coincé dans un des ascenseurs de Bercy, le jour où le chat Olive est mort, le jour où Ascoval a été définitivement sauvé, le jour où nous avons remplacé le gravier de cette cour par des arbres, le jour où Olaf Scholz après une nuit de négociation sur la dette en commun a lâché « deal », le jour où nous avons vu Notre-Dame brûler, le jour où Vincent Lindon a tourné au PMF, le jour où les prix du gaz ont flambé.
Je répondrais : le COVID.
Face à la crise économique la plus grave que le monde ait eu à affronter depuis 1929, nous avons fait face.
Le COVID aurait pu conduire au pire : récession, crise sociale, désordres politiques.
Il a au contraire montré le meilleur de notre société : héroïsme sans faille des soignants et du monde hospitalier ; présence à leurs postes des salariés dans les commerces essentiels, dans le nettoyage, dans la grande distribution, dans les exploitations agricoles ; mobilisation permanente de tous les agents du ministère pour élaborer les aides d’urgence, mettre en place le fonds de solidarité pour les TPE et les PME, distribuer le PGE, verser le chômage partiel.
Partout, une vraie et profonde générosité de cœur. A nouveau je dis : merci.
Nous avons dépensé beaucoup ? Oui – mais pour le bien de tous. Qui oserait dire sincèrement que ces dépenses de protection dont certains nous font le reproche maintenant, après nous avoir supplié de dépenser plus hier, ne répondaient pas à un cas économique de force majeur ? Qui ne voit pas que ces dépenses nous ont permis de sauver nos entreprises, nos commerces, nos emplois, nos compétences ?
Il est trop facile de réécrire l’histoire : nous n’avons pas dilapidé l’argent public, nous avons protégé les Français et nous devons en être fiers ensemble.
La France est grande quand elle se rassemble, puissante quand elle agit de concert, invincible quand elle sert une cause qui la dépasse.
*
Et demain ?
Demain pour moi sera différent.
Je ne reprendrai pas le chemin de la fonction publique puisque j’en ai démissionné. Cela devrait être la règle pour tous : on entre en politique, on sort de la haute fonction publique.
Pas de monarchie technocratique, ni en France, ni en Europe.
Nous devons au contraire bâtir une République qui gagne en écoute, en simplicité, en efficacité pour tous et en considération de chacun.
« Dans la bonne République, disait Montesquieu, on dit : Nous – dans la bonne Monarchie, on dit : Moi ».
Apprenons donc à dire nous.
Nous, le peuple.
Nous, la France, cette grande nation qui a autant besoin d’autorité que d’amour.
L’autorité et l’amour sont les deux valeurs qui nous permettront de desserrer la pression des extrêmes, qui sont en train de prendre en étau notre nation. La radicalisation politique de plus en plus forte est devenue la règle dans les grandes démocraties.
La France doit rester une exception.
L’exception politique française, ce sont la mesure et la raison. *
Demain je retournerai donc à ma première vocation : l’enseignement.
Mon premier poste a été à l’université de Lyon II, comme professeur de lettres, il y a 30 ans. Cela ne nous rajeunit pas.
Je suis heureux de reprendre le chemin des cours, cette fois sur les sujets économiques et géopolitiques. Je ne connais rien de plus beau que de transmettre, dialoguer et se réinventer au contact des nouvelles générations.
Je continuerai naturellement à habiter en France, qui est ma patrie, ma vie, ma passion.
Mais cela fait 22 ans que je suis engagé dans la vie publique, comme conseiller de Jacques CHIRAC et de Dominique de VILLEPIN pendant la crise en Irak, comme député, comme conseiller régional, comme ministre des Affaires européennes, ministre de l’Agriculture, ministre de l’Économie et des Finances.
Il est temps pour moi de respirer un air différent de celui de la politique.
Le monde est vaste, la France est immense, ne vivons pas dans un étui.
Et après ?
Après, qui vivra, verra.*
J’ai commencé par Michel Sardou : je vous aime, mais je pars. Je finirai par Aristote.
« Dans toute action, le bien c’est la fin, car c’est en vue de cette fin qu’on accomplit tout le reste. »
Peut-être que c’est en vue de cette fin si chaleureuse, dans cette cour, avec vous, que nous avons accompli ensemble tout ce qui a été accompli depuis 7 ans.
POINTS DE REPÈRE
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