France – Mercredi 10/06/2020 et toujours à la Une d’energiesdelamer.eu, les réflexions publiées lundi 8/06/2020 – Partie 2 : Après les trois messages clés publiées dans la partie 1, energiesdelamer.eu a souhaité que les trois co-auteurs, Antoine Rabain, Bernard Multon et Michel Paillard, apportent quelques perspectives pour l’éolien en mer à partir des trois questions fondamentales qui se sont imposées (Partie 2) : La course à la puissance pour l’éolien en mer, la place des EMR face au nucléaire et le développement des réseaux d’interconnexion, enfin les recherches à mener pour l’éolien en mer, alors que la technologie semble mature.

Qu’est-ce que change la course à la grande taille dans l’éolien en mer ?

Antoine Rabain : TOUT ! Bien qu’il ne soit pas le seul, c’est l’un des principaux leviers ayant permis non seulement la baisse des coûts, mais aussi de qualifier l’éolien en mer comme un véritable “game changer” de la transition énergétique : les facteurs de charge vont dépasser les 60% (vs. 25% pour l’éolien à terre, et 40% actuellement dans les parcs mis en opération dans les mers d’Europe) : cela remet totalement en cause, et dans le bon sens, les enjeux d’intégration de cette électricité dans le mix de production ; certains parlent même de “base variable”, avec pour conséquences favorables une attractivité renforcée des coûts complets de production de l’électricité produite et injectée dans les réseaux interconnectés. Attention toutefois aux limites que l’on peut déjà anticiper en interrogeant plus globalement l’industrialisation des projets développés par les grands turbiniers (NB : Siemens a récemment annoncé la commercialisation d’une nouvelle turbine de 14MW afin de répondre au développement maintenant bien engagé de l’Haliade-X de General Electric, qui fait état d’une puissance nominale de 12MW) ; au-delà des contraintes d’ordre technologique, nous identifions plutôt, dans cette course engagée à la très grande puissance, des points durs d’ordre logistique, que ce soit pour acheminer les sous-systèmes entre les usines de production et les ports d’assemblage (par exemple les pales dépassent, pour les plus grandes éoliennes offshore, 100 m de longueur !), ou encore pour assurer les opérations de levage en mer sur les navires d’installation, qu’il faudra repenser.

Quelles sont les contraintes d’intégration de ces méga projets annoncés (on annonce plusieurs dizaines de GW raccordés dans certains pays dans un horizon de temps plutôt court pour le secteur électrique) ?

Bernard Multon : Bien sûr qu’il y a une contrainte, et même différentes contraintes d’intégration de ces sources électriques variables au rythme des éléments naturels que sont le solaire photovoltaïque et l’éolien.  Mais, il existe toute une palette de solutions dont plusieurs font encore l’objet de travaux de recherche et développement, et qui laissent penser qu’un système électrique très majoritairement fondé sur ces sources peut-être viable et robuste.

LnW1 Methanation gr325 hr EDM 08 06 020

 

J’ajouterais même que, s’il est bien pensé, il pourrait être beaucoup plus résilient qu’aujourd’hui grâce à une décentralisation des moyens de production et du stockage local. Néanmoins, les grandes fermes éoliennes offshore ne vont pas vraiment dans ce sens puisqu’elles restent des moyens de  production de masse et centralisés. Pour faire fonctionner un tel système (massivement fondé sur les sources renouvelables variables), il est souhaitable de planifier le développement des infrastructures de production et des réseaux afin de faciliter la gestion en temps réel.

Illustration, source : Association négaWatt. Système énergétique du scénario négaWatt intégrant l’équilibrage du système électrique (forte part d’éolien et de PV) grâce à un peu de stockage (stations de pompage-turbinage et batteries électrochimiques) et au couplage avec le système gaz, via la méthanation. » : https://negawatt.org/scenario/reseaux.

Parmi les infrastructures, compte tenu de l’insuffisance des capacités de stockage massif (via des centrales de pompage-turbinage et prochainement, de grandes batteries électrochimiques), il est nécessaire de prévoir des moyens de production flexibles dont la puissance et la capacité énergétique soit suffisante pour compenser les inévitables trous de production dont l’ampleur dépendra fortement des échanges prévus avec des entités externes à la zone géographique considérée.

Ces moyens peuvent être les centrales hydroélectriques de barrage existantes (la France en est plutôt bien dotée****) et, par exemple, des centrales thermiques brûlant des combustibles renouvelables (méthane issu de la méthanisation et de la méthanation) comme le propose l’association négaWatt dans ses scénarios (tous secteurs énergétiques confondus).

négaWat EDM 08 06 020 opt

Dans l’illustration ci-dessus extraite du site negaWatt (https://negawatt.org/scenario/renouvelables), l’éolien intègre le terrestre et l’offshore. Pour la participation aux services systèmes (réglage de tension et réglage de fréquence), les technologies de conversion électroniques de puissance, désormais généralisées dans les domaines du photovoltaïque et de l’éolien, offrent d’immenses possibilités aujourd’hui totalement sous-employées.

Et bien sûr les prévisions météorologiques, de plus en plus fines, permettent une considérable amélioration de la planification, nécessaire pour minimiser les coûts. In fine, les coûts d’équilibrage sont aujourd’hui assez bien évalués et, même si leur fourchette est assez étendue, ils restent suffisamment faibles pour ne pas obérer la compétitivité des deux piliers majeurs de la transition énergétique que constituent le photovoltaïque et l’éolien. A l’autre bout du système électrique, ajoutons enfin l’importance des consommations flexibles (Demand Side Management), telles que la production de combustible renouvelable (hydrogène et/ou méthane) et la recharge pilotable des véhicules électriques susceptible, sous condition de trouver les bons modèles économiques, de fortement contribuer à l’abaissement des coûts de notre système énergétique.

L’éolien en mer est-il une technologie mature ?  Quelles thématiques vous semblent clés aujourd’hui pour la R&D sur cette filière en pleine expansion dans le monde ?

Michel Paillard – N’étant plus en activité depuis plus de 5 ans, je ne suis pas le plus légitime pour répondre à cette question sur la R&D. De façon très simpliste, depuis des années, ce sont les mêmes objectifs qui mobilisent la R&D. Au niveau technologique, l’objectif est la réduction des coûts tout en augmentant la fiabilité dans un milieu hostile comme la mer ouverte d’autant plus avec le développement de machines de plus en plus puissantes. Si, comme cela a été rappelé précédemment, l’augmentation de la puissance des machines contribue fortement à la baisse des coûts, elle pose de nouveaux défis technologiques. Pour l’éolien flottant, c’est bien entendu la conception du flotteur, le comportement de l’ensemble flotteur-éolienne, les ancrages,… Il y a la place pour de l’innovation comme, par exemple, de nouvelles architectures (EOLINK, …). Des solutions prometteuses d’ancrage synthétique font l’objet de travaux de recherche, notamment à l’Ifremer, afin d’augmenter leur durée de vie en mer. Des technologies adaptées aux territoires ultramarins souvent en zones cycloniques, insulaires ou non, très dépendants des énergies fossiles devront être développées, comme l’ETM et notamment flottant. L’abandon du projet français NEMO est regrettable.

Mais le développement à grande échelle de parcs éoliens offshore, posés comme flottants, doit s’accompagner d’études fines de suivi environnemental notamment sur des effets cumulatifs au fur et à mesure du développement des parcs. C’est très compliqué dans la mesure où nous sommes dans un milieu ouvert, où la variabilité naturelle et annuelle complexifie l’identification des impacts liés à l’exploitation d’un aménagement. L’impact principal est lors de l’installation. Des solutions pour réduire ces impacts sont déjà testées et mises en œuvre. Mais la réduction de ces impacts pendant l’installation reste sans aucun doute un sujet de R&D.

Je regarde avec beaucoup d’intérêt, par exemple, le contenu de projets de recherche portés par France Energies Marines, les travaux d’autres organismes de recherche, les informations sur les développements au niveau européen et international.

A noter, également en 2009, la création de l’Alliance Nationale de coordination de la recherche pour l’énergie (ANCRE***) dont un des groupes de travail, le GP 5 est dédié aux Energies Marines, hydrauliques et éoliennes. Il est co piloté depuis l’origine par l’Ifremer, le CNRS et l’IFP Energies nouvelles.

Je mesure d’ailleurs le chemin parcouru ces dernières années au niveau de la R&D avec le développement rapide de certaines filières, comme l’éolien, et bien entendu depuis 20 ans voire 40 ans… En 1991, la puissance unitaire des 11 éoliennes du premier parc danois de Vindeby était de 450 kW, avec l’Haliade 12 MW de General Electric et Siemens Gamesa vient d’annoncer le lancement d’une nacelle de 14 MW !

Mais on constate que le contexte énergétique français pèse encore énormément. On peut légitimement se demander si la filière dispose suffisamment des soutiens et donc des moyens à la hauteur des enjeux. Car si la volonté politique n’est pas là pour accompagner ces développements, on ne pourra pas construire une filière et notamment pour l’éolien flottant. Alors que, comme cela a été rappelé précédemment, il serait dommage de passer à côté de cette filière, alors que la France a des atouts, à la fois au niveau recherche et industriel, pour prendre une part de ce marché à venir.

Illustrations publiées avec l’aimable autorisation de l’association negaWatt

Points de repère

Antoine Rabain – Conseil expert de la transition énergétique et de l’économie maritime, Président de GECKOSPHERE.

Bernard Multon – Ancien enseignant chercheur, ENS Rennes et laboratoire SATIE-CNRS (SATIE = Systèmes et Applications des Technologies de l’Information et de l’Energie).

Michel Paillard – Ancien chef de projet EMR à l’Ifremer

Connaissance des énergies – 24/04/2020 – Mais pourquoi diable chercher à convertir des énergies renouvelables en mer ? à télécharger ou à lire directement en bas de cet article Partie 2

** Marine Renewable Energies. Prospective foresight study for 2030 – Michel Paillard (coordination éditoriale), Véronique Lamblin (coordination éditoriale), Denis Lacroix (coordination éditoriale), 2009, éd. Quæ. Le lien pour accéder à la version française et également le lien sur la synthèse de l’étude prospective EMR.

MVE2 ANCRE

***MerVeille Energie #2 – Energies Marines : Un océan de recherche (s) : Une industrie et des chercheurs en action. 

Février – Mai 2020 – Versions française et anglaise numérique.

La journée “Doctoriales” organisée en octobre 2019 par Ifremer – IFP Energies nouvelles, donne un état des lieux factuels sur l’état des lieux du paysage de la recherche en France sur les énergies renouvelables de la mer. 19 jeunes chercheurs prennent la parole, direction éditoriale  : Joël Spaës (rédacteur en chef), Sylvain Roche (coordination scientifique),  éd. Mer Veille Energie / energiesdelamer.eu

 

 

 

 

09/03/2020 – La Société Hydrotechnique de France (SHF) a mis à jour le guide «Nouveau Marémoteur». ITV de Christophe Le Visage (Président Stratégies Mer & Littoral), pilote du sous-groupe « Environnement et intégration territoriale». Les présidents des groupes de travail sont Olivier METAIS (Grenoble-INP) Président de la SHF, Pierre-Louis VIOLLET (SHF) Président du BCST de la SHF, Denis AELBRECHT (EDF-CIH) Pilote du GT national “Nouveau Marémoteur”

 

Avec l’aimable autoristion de Connaissance des énergies vous pouvez lire directement l’article paru le 24/04/2029
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