France – Japon – Mardi 06/10/2020 – energiesdelamer.eu – Partie 1 – Lors du Salon du littoral* qui s’est tenu à La Grande Motte les 29 et 30 septembre dernier, une session France-Japon était consacré à la gestion des ressources communes (Satoumi), suivi d’une présentation de la gestion intégrée des ports et à l’éolien en mer, et enfin à des recherches sur la pêche et le développement des juvéniles. energiesdelamer.eu a demandé à Yves Henocque, Plan Bleu et Fondation de France, qui présidait la table ronde, d’expliquer les différents mécanismes qui permettent à la fois un développement réparateur des milieux et des sites, une intégration d’un port à énergie verte dédié à l’éolien en mer et des recherches sur des espèces à la suite de cette restauration.
Photo : M Akira Takeda, Consul général du Japon à Marseille et Yves Henocque
L’ingénierie écologique marine
Satoumi* est une pratique de gestion communautaire des ressources, qui a été conceptualisée relativement récemment (1998) par un chercheur océanographe de l’université de Nagasaki, le Prf. Tetsuo Yanagi, qui a écrit plusieurs livres sur la question, dont un récent traduit en anglais[1].
En fait, le concept de Satoumi est inspiré du bien plus ancien concept de Satoyama qui vient de sato, le village où les gens vivent, et de yama, la forêt de montagne qui les entourent. Satoyama exprime ainsi la vision du paysage rural traditionnel au Japon où l’homme a su façonner un système de production respectueux du fonctionnement des écosystèmes (par analogie mais dans des contextes culturels complètement différents, on pourrait parler de nombreux types de satoyama dans le monde, et notamment en France). Récemment, le concept a été étendu à la mer (umi), satoumi, dans un sens très pro-actif ‘conservation active’ selon l’expression, avec l’intervention du Pr Osamu Matsuda, Président de Research Institute for Seto Inland Sea et Vice Président du International EMECS (Enclosed Coastal Seas Center M), de développement de la biodiversité et de la productivité des zones côtières. Il sert ainsi de support conceptuel dans un domaine où le Japon excelle, l’ingénierie, et plus particulièrement ici l’ingénierie écologique marine, qui résulte d’années de recherche empirique sur la relation entre aménagements côtiers et ressources naturelles, y compris les pratiques massives de repeuplement et d’immersion de récifs artificiels de plus en plus ciblés dans leur utilisation.
Les pratiques de Satoumi ou gestion communautaire des ressources se développent un peu partout, tout autour des îles de l’archipel japonais, mais les exemples sont particulièrement nombreux dans les zones fortement impactées par le développement industriel de l’après-guerre et surtout les remblaiements massifs qui ont été pratiqués sur les côtes du Pacifique comme c’est le cas en Mer Intérieure de Seto. Mer peu profonde, dotée de centaines d’îles et d’îlots entre les deux grandes îles de Honshu et Shikoku, et d’une circulation très active de masses d’eau très riches, c’est une mer ‘bénite des dieux’ extrêmement productive, ou tout du moins, qui l’était jusqu’au 19ème siècle. Littéralement étouffée par les remblaiements massifs et les apports polluants, elle est devenue dans les années 70 le théâtre de crises dystrophiques (marées rouges) à répétition avec des mortalités massives de poissons. Il fallait réagir ! En 1973 était adoptée une loi visant la conservation sinon le sauvetage de la Mer Intérieure de Seto en réduisant d’une part drastiquement les rejets en azote et phosphore, et d’autre part, en limitant sérieusement les nouveaux projets de remblaiements. Des mesures que O. Matsuda appelle ‘de conservation passive’. En 35 ans, la diminution des apports en nutriments (azote et phosphore) a permis de réduire considérablement l’occurrence des marées rouges, mais les remblaiements ont malgré tout continué à se faire dans des zones comme la baie d’Osaka (île artificielle de l’aéroport international d’Osaka). La multiplication des remblaiements/aménagements en baie d’Osaka n’a laissé aucune côte à l’état naturel, avec destruction massive des herbiers et donc des habitats en mer, tant et si bien qu’en 25 ans la production combinée pêche/ostréiculture a baissé de moitié (de 800.000 tonnes à moins de 400.000 tonnes). En termes de services rendus par les écosystèmes (Bilan Millennium des Ecosystèmes, 2005), cela s’est traduit non seulement par une réduction des apports, mais également une réduction de la biodiversité et, dans son ensemble, de détérioration de la qualité de vie pour l’ensemble des habitants de la région.
Les leçons tirées de cet état de fait sont que, la ‘conservation passive’ (ex : réduction des apports polluants) n’est pas suffisante, qu’il convient de passer à une ‘conservation active’ (satoumi), et enfin, le développement d’une approche intégrée des problèmes, ces derniers étant multi-facteurs (en d’autres termes, une approche plus ‘écosystémique’). Ici, la ‘conservation active’ se traduit, de manière participative (satoumi), par des actions directes sur le milieu afin d’accroître ou de rétablir sa productivité (ex : restauration des estrans, replantation des herbiers). Ainsi, en 2015, la loi sur la conservation de la Mer Intérieure de Seto a été révisée pour passer d’un simple contrôle de la qualité de l’eau à la restauration des habitats, de la diversité, et de la productivité.
Parmi les nombreux exemples, le Pr Osamu Matsuda a présenté ceux de la Préfecture (équivalent d’un département en superficie, mais d’une région en population) de Kagawa qui, depuis 2013, encourage et soutient les collectivités locales (municipalités) à développer avec les acteurs locaux des approches ‘satoumi’ à l’interface entre terre et mer (écotourisme, éducation environnementale, transformation des déchets côtiers et marins). Un autre cas est celui de la ville de Bizen (Préfecture d’Okayama) où, cette fois-ci, ce sont les pêcheurs et les citoyens du village de Hinase qui ont participé à la replantation des herbiers qui a nécessité un long travail de mise au point avec l’aide des services techniques de la préfecture. D’une quasi-disparition en 1985, on est ainsi passé à plus de 200ha replantés durablement en 2013. Les retombées bénéfiques ont permis de régénérer un milieu (stabilisation des sédiments, production d’oxygène…), et un habitat, avec le retour de nombreuses espèces.
Ces dernières années, avec les soutiens de l’État et des collectivités, les initiatives ‘satoumi’ se sont ainsi multipliées tout autour du Japon (environ 300 initiatives identifiées en 2018). En accompagnement des politiques publiques, ce mode de gestion communautaire pour la ‘conservation active’ (souvent équivalent à ce que l’on appellerait ‘restauration’) des milieux côtiers et marins, est considéré au Japon comme une composante importante de réalisation nationale des Objectifs de Développement Durable (ODDs), plus particulièrement l’ODD 14 consacré aux océans.
Satoyama et Satoumi* sont des concepts japonais qui correspondent à une longue tradition de gestion des ressources dans ce rapport homme-nature spécifique au pays, particulièrement imprégné de la vision bouddhiste/shintoïste du monde. Il suffit de citer les paroles d’un moine shinto pour comprendre ce qui caractérise cette vision : « Dans la croyance Shinto, la nature est aux dieux et à l’homme ce que Dieu est à la nature et à l’homme dans les religions occidentales ».
En effet, montagne profonde ou petite île éloignée peuvent personnifier une déité shinto, un kami. En confiant le divin au secret de la montagne et de la mer, la conception de la profondeur de l’espace souligne l’importance des lieux reculés ou cachés, contrairement aux monothéismes qui placent temple, église, synagogue ou mosquée au cœur de la ville. Elle organise non seulement les espaces religieux mais aussi la trame des villages ou des villes, ainsi que l’esthétique paysagère et spatiale.
Du sommet part un axe spatio-religieux vers la plaine des hommes. Le dieu (kami) qui incarne la montagne, l’emprunte au printemps, à l’aller, et à l’automne, au retour. Les étapes de ce « voyage », célébrées par de nombreuses fêtes, organisent une trilogie de lieux sacrés et profanes : la montagne (source des eaux), le piémont (débouché des eaux) et la plaine (rizières). Le village ou la ville se situent en bas. Bien sûr, la hiérarchie de ces lieux se modifie à mesure que l’économie se développe et que les mentalités évoluent. Ainsi, le sanctuaire considéré comme premier, glisse peu à peu de la montagne vers le cœur de la plaine[1].
[1] Integrated Coastal Management in the Japanese Satoumi : restoring estuaries and bays. 2019. Ed. Tetsuo Yanagi. Publisher : Elservier Science Publishing Ltd.
[1] P. Pelletier. 2008. Atlas du Japon. Une société face à la post-modernité. Ed. Autrement.
POINTS DE REPÈRE
*energiesdelamer.eu est partenaire média du Salon du Littoral organisé par Midi Libre Events avec la participation du Pôle Mer Méditerranée pour la partie BtoSea.
Partie 2 : Plein feu sur le port à énergie verte «Hibiki» et l’éolien flottant
La suite, le 7 octobre 2020 : Plein feu sur le prochain débat public « éolien flottant » en Méditerranée qui sera organisé par la Commission particulière du débat public pour la Méditerranée, présidée par Sylvie Denis-Dintilhac et dont les grandes lignes ont été présentées lors du Salon du Littoral.
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