France – 12/04/2022 – energiesdelamer.eu. C’est une décision importante pour l’avenir de la filière éolienne flottante que la CAA de Nantes a rendu le 5 avril dernier. La troisième ferme pilote flottante en mer est définitivement sur les rails.
La CAA de Nantes devait statuer sur le recours que l’Association NACICCA intentait cette fois-ci, dans le cadre du projet Provence Grand Large, contre l’arrêté modificatif pris par le préfet le 28 octobre 2021, à la suite de la décision rendue par la même cour le 6 octobre 2020.
Analyse de Séverine Michalak, juriste, spécialiste du Droit des EMR.
L’association contestait d’une part le fait que l’addendum à l’évaluation des incidences Natura 2000 réalisé en janvier 2021 à la demande de PGL avait conclu à l’élimination de tout doute raisonnable quant aux effets significatifs dommageables que le projet PGL pouvait avoir sur la bonne conservation des oiseaux migrateurs terrestres dans les ZPS » Camargue « , » Iles d’Hyères » et » Marais entre Crau et Grand Rhône » et qu’il est donc possible d’exclure toute atteinte aux objectifs de conservation de ces zones. La Cour répond que « le parc éolien projeté sera composé de seulement trois éoliennes (Ndrl flottantes) implantées, selon une orientation relativement parallèle aux mouvements migratoires nord-sud, sur un linéaire nord-sud de 3 km et une largeur est-ouest inférieure à 1 km. Le passage potentiel d’oiseaux migrateurs terrestres dans la zone du projet ne sera en outre que ponctuel au cours des périodes de migration. Compte tenu par ailleurs du relativement bon état de conservation des espèces considérées au sein des trois zones de protection spéciale en cause, de l’importance de la répartition spatiale de la migration nocturne à l’échelle de la Méditerranée et en altitude, ainsi que des mesures de réduction prévues par l’autorisation modificative, il ne résulte pas de l’instruction que le projet en litige, même en tenant compte de ses effets cumulés avec les autres parcs d’éoliennes flottantes développés au large des côtes méditerranéennes françaises, serait susceptible de porter atteinte aux objectifs de conservation de ces zones. ».
Elle conclut ainsi que l’évaluation des incidences Natura 2000 complétée par son addendum se révèle suffisante et le moyen tiré de ce que l’autorisation environnementale litigieuse méconnaîtrait les dispositions du VI de l’article L. 414-4 du code de l’environnement, notamment en ce qui concerne les oiseaux migrateurs terrestres, doit être écarté.
L’association contestait d’autre part la légalité de la dérogation « espèces protégées » accordée par le préfet au titre du VII de l’article L. 414-4 du code de l’environnement à la suite de la décision de la cour du 6 octobre 2020, dérogation qui concerne le risque d’atteinte à l’état de conservation des populations de puffin yelkouan, puffin de Scopoli, sterne caugek, mouette mélanocéphale, sterne pierregarin, puffin des Baléares et océanite tempête. Rappelons que cette dérogation ne peut être accordée qu’en l’absence de solutions alternatives et pour des raisons impératives d’intérêt public majeur, et sous réserve que des mesures compensatoires soient prises afin de maintenir la cohérence globale du réseau Natura 2000.
Concernant la vérification de l’absence de solutions alternatives, la cour procède à la description détaillée des différentes étapes de concertation ayant eu lieu entre le porteur du projet et l’Etat, associant notamment des experts scientifiques et des associations de protection de l’environnement et s’étalant sur une période de dix ans. Elle rappelle notamment qu’en 2011 la société PGL, une fois le golfe de Fos retenu, avait proposé à l’État d’implanter le projet pilote en haute mer, hors de toute zone Natura 2000, et à l’écart du chenal d’accès au grand port maritime de Marseille-Fos et du futur parc national des Calanques. La cour rappelle qu’en l’absence de cadre juridique d’implantation dans cette zone, puisqu’une zone économique exclusive n’a été créée en Méditerranée qu’en octobre 2012, les services de l’État ont proposé à la société PGL d’implanter le parc pilote en mer territoriale, afin notamment de sécuriser l’éligibilité de la future production électrique du parc à un contrat d’obligation d’achat d’électricité, condition de la viabilité économique de l’opération. La société PGL a donc bien vérifié l’absence de solutions alternatives à l’implantation retenue pour son projet.
Là où l’arrêt est le plus intéressant, c’est dans sa démonstration de l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) justifiant la dérogation. Elle rappelle ainsi que « le développement des énergies renouvelables, dans le contexte de la lutte contre le changement climatique par la réduction des émissions de gaz à effet de serre, résulte d’engagements énergétiques européens, nationaux et régionaux. En particulier, le paquet » énergie-climat « , adopté par le Parlement européen le 17 décembre 2008, s’est traduit pour la France par l’adoption de l’objectif contraignant de 23 % d’énergie renouvelable dans la consommation d’énergie finale à l’horizon 2020. La directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2018, relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables, a porté à 32 % la part d’énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie de l’Union en 2030. L’article L. 100-4 du code de l’énergie fixe ainsi la part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie à 23 % en 2020 et à 33 % en 2030. Dans ce cadre, le décret n° 2020-456 du 21 avril 2020 relatif à la programmation pluriannuelle de l’énergie prévoit de réduire la consommation d’énergie primaire fossile par rapport à 2012 et de développer la production d’électricité d’origine renouvelable, notamment en portant la puissance installée de l’éolien en mer à 2,4 GW en 2023 et au moins 5,2 GW en 2028. Pour contribuer à atteindre ces objectifs, ce même décret prévoit de lancer des procédures de mise en concurrence en matière d’éolien en mer, afin de sélectionner un lauréat pour un parc de 250 MW au sud de la Bretagne en 2021 et deux parcs de 250 MW chacun en Méditerranée en 2022. Le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, approuvé le 15 octobre 2019, fixe pour sa part l’objectif d’atteindre 1 GW de puissance installée d’énergie électrique à partir d’éoliennes flottantes en 2030 et 2 GW en 2050. ».
Après avoir remis en perspective le projet dans un contexte de droit international, européen, national et régional, la cour souligne ensuite l’intérêt que présente la technologie de l’éolien flottant par rapport à l’éolien posé, eu égard à la profondeur des fonds méditerranéens et surtout l’intérêt primordial que représente ce projet pilote, aux côtés des deux autres projets en Méditerranée et de celui situé au sud de la Bretagne, dans l’acquisition de connaissances sur l’avifaune et les écosystèmes marins. Elle précise que « le projet porté par la société PGL est l’unique projet d’éolien en mer au niveau mondial qui permettra d’expérimenter un système de flotteurs de type » plateforme à lignes tendues « , qui a pour spécificité d’offrir une stabilité comparable à celle des éoliennes en mer posées et une emprise réduite sur les fonds marins par rapport aux technologies dites caténaires, ainsi que de préserver les fonds marins et leur biodiversité du fait de l’absence de » ragage » par les chaînes ou les câbles ». Enfin la cour met en exergue la contribution du projet PGL à la création autour de l’éolien en mer d’une nouvelle filière industrielle, susceptible d’importantes retombées économiques et sociales en France et notamment dans la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Elle conclut ainsi que, « dès lors, la réalisation du projet de la société PGL participe à la mise en œuvre des politiques publiques menées aux niveaux européen, national et régional en vue de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, de la lutte contre le réchauffement climatique et, plus globalement, de la préservation de l’environnement. Il répond ainsi, au sens des dispositions précitées du VII de l’article L. 414-4 code de l’environnement, à une raison impérative d’intérêt public majeur ».
Enfin, pour contester la suffisance des nombreuses mesures compensatoires prévues dans le cadre du projet, l’association NACICCA reproche notamment le fait qu’elles se fondent, quant à la faible probabilité du risque de collision, sur des retours d’expérience obtenus sur des fermes éoliennes situées non en Méditerranée, mais dans le nord de l’Europe où les puffins yelkouan et de Scopoli ne sont pas présents, ainsi que sur des parcs d’éoliennes posées et non flottantes, ce à quoi la cour répond qu’ « il résulte des premiers résultats, rendus le 6 mai 2021, du projet ORNIT-EOF, qui vise notamment à estimer le risque de collision entre les puffins de Scopoli et les éoliennes à partir de données télémétriques et altimétriques des puffins des îles Marseillaises, que l’altitude moyenne de vol de ces puffins est de 3,3 mètres et que ceux-ci volent 97 % de leur temps en dessous de 20 mètres d’altitude, soit en dessous du niveau des pales des éoliennes du projet. En combinant ces données avec d’autres hypothèses, notamment un taux d’évitement de 98 %, les résultats provisoires de cette étude évaluent le nombre de collisions attendues par saison de reproduction pour les trois éoliennes du projet à 0,008 individu, soit une occurrence de retour de cet évènement tous les 125 ans par saison de reproduction. Dans ces conditions, en l’état des connaissances scientifiques et même en supposant que le taux d’évitement retenu par ce modèle serait trop élevé, il ne résulte pas de l’instruction que l’évaluation à un individu par an du risque de mortalité par collision des puffins yelkouan et de Scopoli, dans une approche conservatrice, serait insuffisante ».
Si une telle décision ne peut qu’être saluée dans un contexte de guerre rendant les projets d’énergie renouvelable non seulement indispensables sur le plan climatique mais également pour contribuer à notre indépendance énergétique, il reste à espérer que les retours d’expériences tirés de ce projet pilote permettront réellement de limiter les impacts des futures fermes commerciales sur la faune méditerranéenne.
POINTS DE REPÈRE
01/06/2021 – Interview de Philippe Veyan, directeur de l’action territoriale et des autorisations chez EDF Renouvelables alors que l’enquête publique relative à Provence Grand Large débute.
L’enquête publique relative à « Provence Grand Large » débute ce mardi. ITW de Philippe Veyan
12/07/2021 – Séverine Michalak, juriste, spécialistes des EMR avait publié en juillet 2021, deux tribunes sur la raison impérative d’intérêt public majeur RIIPM.
18/05/2018 – Le 16 mai 2018, l’Autorité environnementale (AE) a rendu un avis globalement favorable sur le projet de parc éolien flottant pilote « Provence grand large ». Un projet de 24 MW porté par EDF Energies Nouvelles (EDF EN), via une filiale dédiée, «Parc éolien offshore de Provence grand large» et par Réseau de transport d’électricité (RTE), maître d’ouvrage de la ligne de raccordement depuis un connecteur sous-marin jusqu’au poste de livraison électrique.
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