France Royaume-Uni Belgique – 13/07/2021 – energiesdelamer.eu. Partie 2 – La question environnementale des projets industriels se matérialise particulièrement dans l’épineuse notion de raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM), à laquelle doit répondre un projet afin de se voir octroyer l’autorisation de « destruction » d’espèces protégées au titre du code de l’environnement.
La partie 1 publiée le 12/07/2021 évoquait les articles L.411-2 et L.414-4 du code de l’environnement (atteinte aux zones Natura 2000) et plus particulièrement en France :
La seconde partie de l’analyse de Séverine Michalak, juriste spécialiste du droit des EMR (énergies renouvelable en mer), présente les décisions relatives au résultat positif qui seul peut aboutir à une déclaration d’utilité publique. L’utilité publique du projet constitue ainsi une notion différente de l’intérêt général de celui-ci. Focus sur deux décisions relative à la RIIPM au Royaume-Uni et en Belgique.
« De quelle manière le juge arbitre-t-il concrètement ces intérêts contradictoires lorsqu’il est saisi de la question ?
Procède-t-il à l’établissement d’un bilan coût-avantage, comme dans les procédures d’expropriation pour cause d’utilité publique ? L’antagonisme des intérêts en présence dans le cadre d’une demande de dérogation de destruction d’espèces fait écho en effet aux procédures de déclaration d’utilité publique (DUP), appliquée notamment dans le cadre des demandes de raccordement par RTE.
Les inconvénients d’ordre social
Selon la célèbre théorie du bilan issue de la jurisprudence Ville Nouvelle Est (Arrêt du Conseil d’Etat du 28 mai 1971 n°78825), dont nous fêtons le cinquantenaire cette année, une opération ne peut légalement être déclarée d’utilité publique que si, les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d’ordre social qu’elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle présente. L’utilité publique consacre ainsi la supériorité de l’intérêt de la collectivité publique par rapport aux intérêts privés. Le juge procède ici en trois temps. Il s’assure tout d’abord du caractère d’intérêt général de l’opération en cause, ensuite de la nécessité d’une expropriation pour mener à bien cette opération, et enfin du solde positif du bilan entre les avantages et les inconvénients de celle-ci.
Les inconvénients d’ordre écologique
Aux inconvénients d’ordre social, le Conseil d’État a adjoint dans son arrêt du 25 juillet 1975 (n° 91012 à 91015) les inconvénients d’ordre écologique, qui figurent désormais au « passif du bilan comptable » du juge. L’atteinte à d’autres intérêts publics, comme l’environnement, outre l’intérêt privé que représente la propriété, est également prise en compte par le juge (CE 20 oct. 1972 Sainte-Marie de l’Assomption ; CE 25 juill. 1975 Synd. CFDT des marins-pêcheurs de la rade de Brest). On pense bien évidemment à l’affaire de la construction d’une ligne électrique aérienne à très haute tension au travers des gorges du Verdon (CE 10 juillet 2006 n°288108, n°289393 et n°288274) qui porte de graves atteintes à des zones d’intérêt exceptionnel qui excèdent l’intérêt de l’opération et sont de nature à lui retirer son caractère d’utilité publique, alors même que les intérêts économiques et sociaux de l’opération sont avérés.
L’analyse d’une DUP donne ainsi réellement lieu à une sorte d’opération comptable entre l’intérêt général du projet et les inconvénients, dont seul le résultat positif peut aboutir à une déclaration d’utilité publique. L’utilité publique du projet constitue ainsi une notion différente de l’intérêt général de celui-ci.
L’arbitrage opéré pour l’analyse d’une RIIPM, dans le cadre d’une demande de dérogation de destruction d’espèces pour des projets publics ou privés ne semble en revanche pas correspondre à cette méthode bilancielle. Le Conseil d’Etat a en effet affirmé dans son arrêt du 3 juin 2020 (n°425395) (dans le cadre d’un recours contre l’arrêté du préfet des Pyrénées-Orientales du 3 février 2015 accordant à la société La Provençale une dérogation aux interdictions de destruction d’espèces de flore et de faune sauvages protégées, dans le cadre de la réouverture de la carrière de marbre de Nau Bouques sur le territoire des communes de Vingrau et Tautavel) que « c’est donc à bon droit que la cour s’est prononcée sur la question de savoir si le projet répond à une raison impérative d’intérêt public majeur, sans prendre en compte à ce stade la nature et l’intensité des atteintes qu’il porte aux espèces protégées, notamment leur nombre et leur situation ».
La RIIPM est ainsi analysée de façon autonome, l’intérêt public majeur du projet ne résulte pas ici d’un calcul bilanciel positif (intérêt général du projet – effets négatifs) mais doit exister en amont de façon intrinsèque.
Ce n’est ensuite qu’après avoir constaté l’existence d’un intérêt public majeur que le juge analysera si les deux autres conditions sont également remplies (CE 25 mai 2018, SAS PCE et SNC FTO, n°413267).
Dans ses conclusions, le rapporteur public mentionne l’arrêt de la Cour de justice du 29 juillet 2019 (CJUE, Grande chambre, 29 juillet 2019, Inter-Environnement Wallonie ASBL, affaire C-411/17, point 155), relatif au calendrier de sortie du nucléaire de la Belgique, en rappelant qu’ « un intérêt ne peut être majeur que lorsqu’il est « d’une importance telle qu’il puisse être mis en balance avec l’objectif de conservation des habitats naturels, de la faune, y compris de l’avifaune, et de la flore sauvages poursuivi par cette directive », pour souligner ensuite qu’il ne s’agit selon lui « ni (d’) un réel bilan, au sens de (la) jurisprudence Ville Nouvelle Est, ni (d’)une mise en œuvre du principe de proportionnalité comme cela est soutenu, mais seulement la nécessité que cet intérêt soit suffisamment caractérisé au regard de l’objectif de conservation pour permettre une dérogation ». La traduction anglosaxone de la RIIPM, IROPI* pour Imperative reason of overriding public interest reflète bien cette nécessité de caractérisation au regard des enjeux de protection, overriding (majeur) renvoyant à l’idée de dépassement. Ce n’est qu’après avoir caractérisé la raison impérative d’intérêt public majeur que les atteintes portées aux espèces sont ensuite prises en compte, au regard des mesures de réduction et de compensation prévues.
Le Conseil d’Etat semble ici favoriser une analyse plus absolue de la RIIPM, davantage en faveur de l’environnement que la méthode bilancielle. Or les projets de production d’électricité renouvelable, et notamment l’éolien en mer, pour répondre à un objectif de préservation de l’environnement (la stabilité du climat) sont susceptibles de porter quelques atteintes à l’environnement (la biodiversité).
L’exemple étranger de l’application concrète de la RIIPM dans l’autorisation des projets, en dehors d’un éventuel contentieux : L’accord pour Hornsea Three d’Orsted
Le secrétaire d’État a accordé une autorisation de développement au parc éolien offshore Hornsea Three d’Orsted le 31 décembre 2020.
Un rapport de l’inspection de la planification a été initialement transmis à BEIS en juillet 2019, mais la date légale à laquelle une décision était requise a été repoussée à plusieurs reprises tandis que de nouvelles preuves et commentaires étaient recherchés sur l’effet du parc éolien géant sur la vie des oiseaux.
Mais finalement, le secrétaire d’État a conclu que le projet devait aller de l’avant pour des « raisons impératives d’intérêt public supérieur » malgré les effets néfastes, notamment sur les mouettes tridactyles dans la zone de protection spéciale de Flamborough et Filey Coast et la perte d’habitat dans les bancs de sable autour de la côte Wash et North Norfolk. Le promoteur devra prendre des mesures supplémentaires pour compenser ce préjudice, comme fournir de nouvelles aires de nidification pour les mouettes tridactyles.
La lettre de décision a averti que les développeurs ne devraient pas compter sur BEIS pour permettre un tel débat après que l’autorité d’examen a soumis son rapport à l’avenir.
Le projet verra jusqu’à 230 éoliennes (contre 300 auparavant) ; jusqu’à trois plates-formes d’hébergement offshore installées au large de la côte du Yorkshire ainsi que jusqu’à douze sous-stations de transformation offshore et des stations de conversion ou de surpression selon que le développeur utilise des liaisons HVDC ou HVAC avec le réseau terrestre. Il comprend également des connexions d’estran à une sous-station onshore et à la sous-station Norwich Main existante de National Grid.
POINTS DE REPÈRE
12/07/2021 – Analyse par Séverine Michalak, juriste, expert du Droit des énergies renouvelables de la mer.
04/02/2021 – Hornsea Three – Le Bird Guide a fait paraître un article sur l’association de protection des oiseaux, RSPB. Celle-ci a critiqué la décision du gouvernement d’autoriser un parc éolien offshore en mer du Nord, affirmant qu’elle a un impact négatif sur les oiseaux de mer nicheurs. Le parc éolien en mer Hornsea Three est situé à 120 km de Flamborough Head, la plus grande colonie d’oiseaux marins d’Angleterre, sur la côte du Yorkshire. Le RSPB indique que les Kittiwakes devront traverser la zone en évitant les turbines pour atteindre les zones de nourrissage.
Les promoteurs ont promis de compenser l’impact sur les oiseaux. Mais la RSPB affirme que les mesures de compensation proposées à Hornsea Three sont spéculatives, et que comme d’autres développements éoliens en mer du Nord, elles sont minées par un manque de données fiables. Le ministre de l’énergie, Alok Sharma, a reconnu dans sa décision sur le développement que la faune et la flore seraient affectées par Hornsea Three, mais il a donné son accord sur la balance des bénéfices.
RSPB critique l’installation d’Hornsea Three qui pourrait produire la mort de Kittiwakes
04/01/2021 – Alok Sharma Secrétaire d’Etat a annoncé le 31 décembre 2020 l’accord pour Hornsea Three Offshore Wind Farm. https://infrastructure.planninginspectorate.gov.uk/projects/eastern/hornsea-project-three-offshore-wind-farm/
Accord pour le développement du parc éolien offshore Hornsea Project Three
29/07/2019 – ARRÊT DE LA COUR (grande chambre) – Litige opposant Inter-Environnement Wallonie ASBL et Bond Beter Leefmilieu Vlaanderen ASBL au Conseil des ministres (Belgique) au sujet de la loi par laquelle le Royaume de Belgique a, d’une part, prévu le redémarrage, pour une durée de près de dix années, de l’activité de production industrielle d’électricité d’une centrale nucléaire à l’arrêt et, d’autre part, reporté de dix ans le terme initialement prévu pour la désactivation et l’arrêt de la production industrielle d’électricité d’une centrale nucléaire en activité Lien ICI.
Lexique
IROPI Imperative reason of overriding public interest
Raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM)
Déclaration d’utilité publique (DUP)
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