Revue de presse – 29/11/2022 – energiesdelamer.eu. Les collectifs d’information néerlandais Investico et Follow The Money ont collecté et analysé pour cette enquête, la « Great Green Investment Investigation », des millions d’informations sur les fonds, en collaboration avec De Tijd en Belgique, Le Monde en France, Handelsblatt en Allemagne, El País en Espagne, IRPI en Italie, Luxemburger Wort au Luxembourg, Der Standard en Autriche et Børsen au Danemark.
Follow the Money, Investico et les médias européens ont collecté les portefeuilles de centaines de fonds d’investissement qui se qualifient de vert foncé. Ils ont construit une base de données de tous leurs investissements, totalisant plus de 619 milliards d’euros.
Les investisseurs sont de plus en plus nombreux à placer leur épargne dans les fonds d’actions les plus durables, appelés « vert foncé ». Mais ces fonds sont-ils aussi verts qu’ils le prétendent? Nous avons tenté d’en avoir le cœur net.
La moitié des fonds « durables » investissent dans les énergies fossiles.
Faut-il privilégier son intérêt financier personnel ou l’avenir de la planète ? Au royaume de la finance verte, le consommateur n’a pas à choisir : il peut soutenir la lutte contre le réchauffement climatique tout en maximisant le « retour sur investissement ». C’est en tout cas la promesse de la multinationale américaine BlackRock, dont le placement « énergies durables » est censé financer prioritairement les énergies « propres » et « renouvelables », tout en excluant strictement les entreprises du charbon, du pétrole et du gaz, premiers responsables des émissions de gaz à effet de serre (GES) relève Le Monde ainsi que ses autres partenaires.
Vérification faite, l’engagement n’est pas tenu : les trois plus gros actifs de ce fonds à 6 milliards d’euros sont des poids lourds du secteur des énergies fossiles. L’énergéticien allemand RWE AG, l’américain Nextera Energy et l’italien Enel SPA représentent à eux seuls 16 % de ses encours, alors qu’ils produisent autour de la moitié de leur électricité à partir de charbon, de gaz et de pétrole.
L’exemple de BlackRock n’est pas isolé. En enquêtant en collaboration avec une dizaine de médias européens, dont Investico et Follow the Money, les médias ont découvert à nouveau que cette année, la plupart des acteurs financiers qui promettent à leurs investisseurs de mettre leur épargne au service du climat, financent en réalité toujours des entreprises polluantes. Les labels et les normes n’y changent rien : même les fonds « super verts » sont souvent fautifs. A l’échelle européenne, près de la moitié (46,3 %) de ceux qui ont été étudiés investissent dans des actifs liés au fossile ou à l’aviation (voir notre méthodologie).
Près de la moitié des fonds « super verts » investissent dans les énergies fossiles ou l’aviation
Ainsi, prenons l’un de ces fonds vert foncé vendus sur le marché belge, le BlackRock Global Funds – Sustainable Energy Fund. La politique d’investissement de ce fonds vert foncé le proclame: il investit « au moins 70% de ses avoirs dans des entreprises du secteur de l’énergie durable ». Et il prétend également ne pas placer ses billes dans des « entreprises qui, selon la classification sectorielle globale GICS, sont reprises dans les secteurs suivants: charbon et matières auxiliaires, exploration et production pétrolière et gazière, ainsi que des entreprises pétrolières et gazières intégrées ».
Tolérance zéro
Parmi les 350 fonds vert foncé vendus sur le marché belge qui ont été analysés, se glissent 18 sicav belges. Du côté des quatre fonds vert foncé de la KBC, aucune trace d’entreprises actives dans les combustibles fossiles ou le transport aérien. Le porte-parole du groupe belge, Pieter Kussé, le confirme sans détour: « Pour les fonds qui investissent de manière responsable, KBC ne tolère aucun carburant fossile. »
Des entreprises de combustibles fossiles apparaissent cependant dans six fonds article 9 de Belfius, propriété de l’État belge. Dans ces six fonds, nous retrouvons chaque fois un investissement dans Air Products & Chemicals (4 fonds), TotalEnergies (1 fonds) ou NextEra Energy (1 fonds). Le fonds Belfius Equities Climate, qui investit dans le groupe industriel américain actif dans le gaz et la chimie Air Products & Chemicals interpelle le plus.
Mais les investisseurs qui se donnent la peine de lire l’objectif de ce fonds vert foncé remarquent qu’il n’exclut pas un tel investissement gris: « L’objectif du fonds est d’investir dans des entreprises qui proposent ou contribuent au développement de solutions qui luttent contre les dérèglements climatiques. »
« Si les règles se durcissent ou se clarifient davantage, cela pourra avoir un effet sur les entreprises dans lesquelles nos fonds vert foncé investissent. »
La porte-parole de Belfius, Ulrike Pommée, explique pourquoi une entreprise comme Air Products & Chemicals se retrouve dans les fonds. « L’entreprise est considérée un acteur leader dans le développement de l’hydrogène vert, qui est un élément clé pour aller vers une société moins carbonée. L’entreprise a également des plans d’investissement ambitieux dans le cadre de la transition énergétique. Elle contribue aux équipements destinés à ‘gazéifier’ le charbon (le convertir en une matière première pour l’industrie chimique), mais ne participe à l’extraction du charbon utilisé comme combustible fossile ni à la production d’énergie à partir de charbon. »
« L’intégration d’une entreprise dans un fonds d’investissement est le résultat d’un processus effectué par le gestionnaire du fonds. Ce dernier se laisse guider par la réglementation et les informations sur l’entreprise telles qu’elles existent à ce moment-là. Si les règles se durcissent ou se clarifient davantage, cela pourra avoir un effet sur les entreprises dans lesquelles il investit », selon Ulrike Pommée.
Nouvelles règles
La réglementation va profondément évoluer dans les prochains mois. Ainsi, à partir du 1er janvier 2023, les maisons de fonds devront justifier leur choix de catégorie SFDR dans une annexe au prospectus du fonds. Selon la Commission européenne, cet argumentaire améliorera la qualité et la comparabilité des rapports de durabilité.
Les obligations de reporting supplémentaires semblent effrayer plusieurs maisons de fonds. Selon le bureau d’études Morningstar, ces dernières ont fait passer, rien qu’au troisième trimestre, pas moins de 43 fonds de la catégorie vert foncé à la catégorie vert clair. Et le mouvement ne devrait pas s’arrêter. La semaine dernière, Amundi, le plus grand gestionnaire de fonds en Europe, a communiqué avoir « rétrogradé » 100 de ses fonds vert foncé vers la catégorie vert clair. BNP Paribas Asset Management, AXA IM, BlackRock et Robeco SAM, entre autres, ont annoncé également en avoir l’intention pour plusieurs de leurs fonds.
Les nouvelles règles de reporting n’empêcheront cependant toujours pas que des fonds vert foncé continuent à investir dans des combustibles fossiles en 2023 et au-delà. L’autorité de contrôle européenne ESMA ne le souhaite pas et l’estime même difficilement justifiable. « Malgré l’absence d’interdiction explicite de considérer comme ‘placements durables’ des investissements dans des combustibles fossiles, il ne sera pas évident de trouver les arguments qui le justifient », dit-on à l’ESMA. « Nous pensons que la réglementation en vigueur après le 1er janvier prochain est suffisamment claire pour que les maisons de fonds s’y conforment. »
« Les règles sur les fonds vert foncé sont encore insuffisantes »
L’autorité de contrôle belge FSMA reconnaît que les règles et le contrôle des fonds d’investissement vert foncé pèchent par leur insuffisance. Mais le président de la FSMA, Jean-Paul Servais, avertit qu’à partir de 2024, il interviendra fermement si des banques et des gestionnaires d’actifs s’adonnent sciemment au petit jeu du greenwashing à travers leurs fonds.
« En qualité d’autorité de contrôle belge, nous allons y veiller, mais nous ne disposons pas encore des outils légaux pour le faire » déclare la FSMA à Financieel-Economische Tijd ». La FSMA ne pourra vraiment intervenir au plus tôt qu’à partir de 2024″, reconnaît Jean-Paul Servais. « Le problème est que la Commission européenne a mis la charrue avant les bœufs. En régissant d’abord les fonds vert foncé, elle a construit le toit de la maison avant de placer les fondations et les murs. Le système est déjà mis en place alors que les autorités de contrôle nationales ne sont pas encore en mesure d’exercer leur supervision. Parce que le reporting des entreprises à cet égard n’a pas encore été standardisé au niveau européen. Cela suscite, à juste titre, de nombreuses questions. Et, par la voix des autorités de contrôle européennes, ESMA, nous avons déjà signalé, dans des termes exceptionnellement durs, les risques de greenwashing qui en découlaient. »
« Les fonds vert foncé se classent en deux catégories. Il y a tout d’abord les fonds vert foncé au sens strict du terme, avec des investissements durables selon le consensus européen. Pour ces fonds, le caractère durable peut être contrôlé sur la base du reporting standardisé, fixé par la législation, des entreprises dans lesquelles ils investissent. Mais ce reporting, lié à la ‘taxonomie’ européenne – cette bible qui détermine précisément les activités réellement durables – n’existe pas encore. Ces fonds vert foncé ‘stricts’ sont encore une boite vide en Belgique. La FSMA ne les a donc pas encore autorisés. Il existe cependant encore une seconde catégorie de fonds vert foncé: ceux qui répondent aux critères déterminés par les maisons de fonds elles-mêmes. »
« Ces fonds peuvent donc investir dans des entreprises qu’ils estiment durables selon leur propre méthodologie. Ils peuvent ainsi se référer à toutes sortes de critères et d’indices », explique la vice-présidente de la FSMA, Annemie Rombouts. « Les gestionnaires de fonds doivent donc déjà annoncer la couleur avant d’avoir les informations nécessaires. Cela implique déjà un risque de greenwashing. C’est du jamais vu dans la réglementation européenne. » « De ce fait, des entreprises actives dans les combustibles fossiles peuvent également se retrouver dans ces fonds vert foncé. Si un fonds suivait vraiment à 100% la bible européenne détaillée de ce que l’UE considère comme des activités durables, les combustibles fossiles ne seraient pas inclus. Mais, dans la seconde catégorie de fonds vert foncé, les gestionnaires peuvent expliquer eux-mêmes pourquoi ils investissent tout de même dans des carburants fossiles, par exemple, parce que ces entreprises ont un plan de transition. La FSMA ne dispose pas encore du cadre européen lui permettant d’accepter ou non cet argument. Nous n’avons pas le bâton pour intervenir. Ce n’est qu’à partir de 2024 que nous pourrons agir si cet argument n’a pas de sens, parce qu’il s’agit de pur greenwashing. »
Comment a été menée cette enquête?
La liste des journalistes enquêteurs et des journaux qui ont participé à l’enquête menée par les collectifs d’information néerlandais Investico et Follow The Money ont collecté et analysé pour cette enquête, la « Great Green Investment Investigation » est accessibles ici.
Étape 1: Pour l’enquête, il a été demandé au fournisseur de données financières Morningstar la liste de tous les fonds d’investissement vendus en Europe se déclarant « vert foncé » parce que relevant de l’article 9 de la réglementation européenne SFDR. Il s’agit de fonds qui intègrent des objectifs de durabilité dans leur politique d’investissement. Nous avons complété cette liste de Morningstar sur la base de nos propres recherches.
Étape 2: Pour tous ces fonds sur la liste, les journalistes ont consulté la composition de leur portefeuille au 30 juin 2022 dans la banque de données de Bloomberg.
Étape 3: Ensuite, ils ont pointé les fonds qui investissent dans des entreprises actives dans le secteur du transport aérien ou les carburants fossiles sans afficher leur intention d’en sortir complètement. Pour ce faire, ils se sont basés sur les listes de l’ONG allemande spécialisée, Urgewald, qui les analyse sur la base des rapports annuels, rapports financiers, banques de données énergétiques et d’autres données d’entreprises. Ils ont qualifié les entreprises de « grises » lorsqu’elles sont reprises dans la Global Coal Exit List (GCEL) et la Global Oil and Gas Exit List (GOGEL) d’Urgewald. Avec l’aide d’une autre organisation internationale, la Climate Bonds Initiative (CBI), ils ont expurgé de ces « investissements gris » les obligations vertes que des entreprises énergétiques peuvent également émettre. Chapeau pour ce travail d’investigation ! La Rédaction d’energiesdelamer.eu
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