France – Vendredi 22/01/2021 – energiesdelamer.eu. Afin de ne pas trahir la pensée des onze contributeurs, leurs témoignages sont restitués dans leur intégralité : SE Serge Segura, Françoise Gaill, Jean-Pierre Beurier, Pascal Berteaud, Jean-Marc Daniel, Jean-Marc Sornin, Pierre-Armand Thomas, Pierre-Yves Le Meur et Valelia Muni Toke, Lionel Loubersac et Yves Henocque.
Les principales références sont également mentionnées dans ce dossier spécial « dédié aux Grands Fonds Marins – GFM » d’energiesdelamer.eu, site de presse en ligne des publications MerVeille Energie. Ce dossier est publié à l’occasion de la parution de la synthèse du Rapport Jean-Louis Levet / SG Mer, missionné par Edouard Philippe, alors Premier Ministre, en novembre 2019. Lire ou relire la partie 1.
Sur la base d’une question unique, « Quels sont les enjeux de la stratégie maritime pour la recherche exploration dans les Grands Fonds Marins ?», chacun, avec sa compétence et ses expériences, a participé à ce dossier « Regards croisés autour des grands fonds marins ».
Les titres interrogatifs ont été ajoutés pour la clarté de l’exercice. Les textes ont été rédigés par les interviewés et sont reproduits in extenso.
Sur le sujet des grands fonds marins, les opinions ne sont-elles inconciliables entre les différentes parties industrielles, institutionnelles, ONG et populations locales ?
SE Serge Segura Ambassadeur
Il est essentiel de poursuivre l’exploration des Grands Fonds Marins, parce qu’aucune décision politique sur cette zone ne peut être prise sans connaissances scientifiques suffisantes. Il est en outre important d’accroître la connaissance de l’Océan et pour ce faire, de développer la recherche scientifique marine.
En revanche la question du passage de l’exploration à exploitation se pose. Sur la scène internationale l’AIFM travaille à un code minier destiné à organiser l’exploitation des minerais. Mais dans l’esprit de l’ AIFM, cette exploitation ne peut se faire que de manière durable. Aussi l’organisation intègre à son projet toute une série de considérations environnementales qui ont pour but de rendre cette exploitation durable.
Il est indispensable que sur ce dossier, comme sur d’autres d’ailleurs, le dialogue existe entre toutes les parties, car il me semble que les objectifs des unes et des autres se rejoignent. Les industriels n’envisagent pas une exploitation qui puissent porter une atteinte majeure à l’environnement et qui ne soit pas durable. Les environnementalistes ne peuvent accepter que l’exploitation soit lancée si elle constitue un danger majeur pour l’environnement marin et sa biodiversité. Ils ne sont pas opposés à l’exploitation dans son principe mais ils la veulent raisonnée et raisonnable.
Il me semble qu’avec l’aide de la science et du progrès technique ces deux optiques peuvent se retrouver.
Quelles sont les conditions d’une co-construction de la recherche par tous les acteurs ?
Françoise Gaill Directrice de recherche émérite CNRS et vice-présidente de la Plate-forme Ocean et Climat
L’océan est un acteur clé des grands enjeux d’aujourd’hui. Qu’il s’agisse du climat, des défis alimentaires, des questions de santé, de biodiversité ou encore des pollutions comme celle des plastiques, l’océan reste un espace à explorer pour en comprendre la dynamique et le fonctionnement.
S’il est un régulateur du climat, l’océan est le lieu où se joue, pour les nations, la construction d’une nouvelle gestion de la biodiversité dans un espace libre de droits. Espace d’exploration d’un monde changeant sous l’action des activités humaines, il est aussi celui de nouvelles activités. Il est à ce titre un acteur important des objectifs du développement durable. L’océan est un nouveau territoire dont il convient de définir le cadre des usages éventuels et des insertions humaines potentielles dont il nous faut connaitre les caractéristiques minérales, énergétiques et vivantes, en particulier leurs interactions dans ses parties les plus profondes. Et la décennie des sciences de l’océan est une bonne temporalité pour que la France et avec elle, l’Europe, investisse un champ de recherches sur l’océan profond. Le rapport Levet / SGMer a pris en compte tous ces enjeux, notamment environnementaux, qui pourraient, s’ils n’étaient pas pensés et respectés, bloquer l’indispensable co-construction de la recherche de tous les acteurs.
De quelle manière le système de découpage de l’espace maritime en zones a été conçu ? Quels sont le rôle et les compétences de l’Autorité Internationale des Fonds Marins (AIFM) en matière d’environnement ?
Jean-Pierre Beurier Professeur émérite de la Faculté de Droit de Nantes.
La convention des Nations Unies sur le droit de la mer entrée en vigueur en 1994 a vu sa XI° partie modifiée à propos du régime de la zone internationale des fonds marins, mais l’Autorité internationale a été créée et depuis cette date a produit de nombreux règlements de gestion des ressources minérales. C’est l’AIFM qui délivre les titres miniers et qui assure le contrôle de l’exploration et de la future exploitation. L’Autorité est en charge de la protection de l’environnement marin dans la zone, elle doit également prévenir les dommages à la faune et à la flore, ce qui ouvre des perspectives nouvelles à l’Autorité.
La prospection comme l’exploration ou l’exploitation des ressources minérales sont exercées par des engins d’extraction (bennes à crapaud, préleveurs libres, aspirateurs) qui bouleversent les fonds marins en se déplaçant sur le fond, en extrayant le sédiment, et surtout en rejetant dans le milieu marin des sédiments susceptibles de rester longtemps en suspension avant de retomber sur le biotope5. Bien que de second rang, la protection de l’environnement marin fait incontestablement partie des fonctions de l’Autorité, en effet, dès l’article 145 il est précisé que les mesures nécessaires doivent être prises pour protéger efficacement le milieu marin des effets nocifs que pourraient avoir les activités autorisées. C’est pourquoi il incombe à l’Autorité d’adopter des règles et procédures pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin, mais aussi de lutter contre toute perturbation de son équilibre écologique. Le texte donne donc clairement compétence à l’Autorité pour empêcher les effets nocifs des futures activités. J.-P. Le Noble., « L’impact de l’exploitation sur la faune des grands fonds », dans: Influence des (…) – « Les Nouvelles technologies et l’environnement » ouvrage collectif sous la direction de Kiss A., Beurier JP., Mahmoudi S. publié chez Kluwer Amsterdam 2000 dans lequel JP. Le Noble présentait l’aspect technique de l’exploitation des nodules et les conséquences sur l’environnement**.
L’expérience du Cerema peut-elle contribuer à renforcer les
partenariats collectivités – territoires, dès lors que son implantation en 2021 dans les territoires ultramarins sera effective ?
Pascal Berteaud Directeur général.
Second espace maritime au monde, la France bénéficie d’un riche patrimoine et d’un fort potentiel d’économie bleue : ressources du vivant, ressources minérales, énergies marines, transports durables, … sont autant de filières qui offrent des potentiels convoités. À la veille du prochain CIMer, il est intéressant de revenir sur cette opportunité identifiée dès 2015, et en particulier celle des ressources minérales, afin de lui donner un nouvel élan. Le nouveau paradigme socio-économique proposé par Jean-Louis Levet dans son rapport, renforçant le partenariat avec les collectivités et les territoires, notamment d’outre-mer, est essentiel au succès tant attendu d’une telle stratégie.
Le Cerema dispose d’une expertise historique et reconnue en matière maritime et littorale qui a évidemment vocation à contribuer à la mise en œuvre opérationnelle de cette stratégie. L’établissement s’inscrit d’ailleurs totalement dans la volonté de fédérer une expertise de haut niveau autour des ressources de la mer et de son exploitation durable, en collaboration avec les acteurs publics et privés de référence, français comme européens.
Nos compétences en planification maritime et nos connaissances des impacts des activités sur la mer sont des atouts centraux pour concevoir un développement soutenable de l’exploration et de l’exploitation de la mer. Ce développement devra par ailleurs prendre en compte et concilier les différents usages. Il sera possible en accompagnant les acteurs concernés, au premier rang desquels les collectivités ultra-marines. L’ouverture dès 2021 d’implantations du Cerema dans les territoires
ultramarins est de nature à apporter une réponse de proximité à leurs différents besoins d’aménagement, de transport maritime ou d’évolution des plateformes portuaires pour ainsi répondre aux enjeux spécifiques de ces nouvelles activités.
De quelle manière l’Ifremer, chargé avec le CNRS de développer et de conserver des compétences stratégiques pour l’exploration, la protection et l’exploitation des GFM, concilie-t-il et contribue-t-il au développement de pilotes technologiques et des sciences humaines dans ce domaine ?
Jean-Marc Daniel Directeur le département Ressources physiques et Ecosystèmes de fond de Mer de l’Ifremer.
Les relations de l’humanité avec les grands fonds marins sont de plus en plus nombreuses, que ce soit du point de vue scientifique, économique ou éducatif. Le rapport de Jean-Louis Levet pose quelques priorités qui permettront à la France de conserver un leadership sur l’exploration des ressources et de la biodiversité des grands fonds. Cela lui permettra de disposer d’une expertise indépendante sur l’évaluation des ressources et un rôle important dans la définition des mesures de préservation ou de restauration des grands fonds marins que nous connaissons encore si mal.
En effet, dès que la lumière ne pénètre plus l’océan, au-delà de 200m, nos connaissances restent limitées. Affirmer qu’il faut conduire une exploration raisonnée, dans la durée de ces régions océaniques et en faire un sujet de recherche est en accord avec le plan stratégique de l’Ifremer. Dans ce cadre, l’AUV Ulyx, développé par l’Ifremer, va permettre à la Flotte Océanographique Française de disposer d’un outil tout à fait pertinent. Il sera un véritable atout pour les équipes scientifiques françaises concernées par ces questions, en particulier celles de l’Ifremer impliquées également dans la gestion des contrats français d’exploration dans les eaux internationales.
Promouvoir les actions de collaboration avec le monde socio-économique est également tout à fait important pour l’Ifremer et l’Institut Carnot MERS. Il s’agit à la fois d’engager une réflexion partagée avec la société et de contribuer au développement de pilotes technologiques. Nous sommes heureux que le rapport de Jean-Louis Levet affirme ces deux priorités simultanément.
Quelle est votre stratégie en matière d’exploration des GFM ?
Jean-Marc Sornin Président – Fondateur d’ABYSSA.
Deux nécessités d’explorations de grande envergure se complètent : celles liées à la géodiversité et celles liées à la biodiversité et toutes les particularités des environnements sous-marins profonds. En effet, si les caractéristiques précises de certains sites profonds sont bien connues et suivies dans le cadre de travaux de recherches académiques (par l’Ifremer par exemple ICI), ces sites représentent de très petites surfaces devant l’immensité de zones totalement inconnues. Si on s’adresse aux territoires d’Outremer, l’enjeu de ces explorations est l’inventaire de leurs patrimoines sous-marins. Que ce soit pour protéger / sanctuariser des formes de parcs marins ou pour prendre la décision d’en exploiter certaines richesses, biologiques ou minérales, il est nécessaire d’en avoir une connaissance approfondie : sans cela pas de décision éclairée et de prise en considération des sensibilités environnementales. Or, certaines ressources biologiques pourront être précieuses dans le domaine médical et certaines ressources minérales le sont déjà pour les métaux stratégiques nécessaires à la transition énergétique et numérique.
C’est avec ces motivations d’acquisition de connaissances extensives, non intrusives et à coûts maitrisés que ABYSSA a développé et déposé 3 brevets pour un concept de véhicules sous-marins autonomes capables de naviguer en flotte coordonnée, encore sans équivalent dans le monde, avec le soutien de Bpifrance (Concours mondial Innovation, Avance remboursable, Fonds Européen d’Investissement) et de la Région Nouvelle aquitaine pour arriver à un montant d’aides de 1.1M€, complémentaires d’une levée de fonds propres à 1.2M€.
Ne restons pas dans l’ignorance de cette grande partie des territoires de notre ZEE : la stratégie maritime de la France doit être décisive pour nous permettre de lancer des actions dont les explorations sous-marines, sans tarder au risque d’être en retard par rapport à tous ceux qui commencent ! et pour cela, il faut une volonté politique affirmée avec des moyens concrets (engagements financiers) et des actions incontestables à court, moyen et long terme.
Quels sont les enjeux de développement de l’innovation pour les sociétés privées de recherche et de services ?
Pierre-Armand Thomas Président de TACTHYS
Ce domaine a favorisé l’émergence de technologies et concepts novateurs depuis les années 70. Les grands acteurs industriels, certains leaders mondiaux, ont l’opportunité d’effectuer une transition et apporter leurs expertises et moyens développés pour l’offshore.
Plus de 90% de la superficie du territoire français est dans l’océan. Les richesses sont maintenant marines : ressources environnementales, minérales et énergétiques avec les énergies des courants, des vagues et l’énergie thermique des mers. Le potentiel de découvertes est énorme.
Le groupe TACTHYS, via CERVVAL, sa société d’ingénierie, a été impliqué dans la conception de systèmes adaptés et spécialisés aux grands fonds, comme des équipements de remontées de ressources minérales marines et de production d’énergie renouvelables. Les entreprises et entrepreneurs ont besoin d’une stratégie à long terme et de soutien financier. L’Europe a décidé de mobiliser des investissements énormes sur le pacte Green Deal. Les ressources minérales marines sont essentielles à l’indépendance énergétique.
Démontrons l’exploitation raisonnée d’une infime partie des fonds marins par rapport à l’immensité océanographique que nous nous devons de protéger. Après la nomination d’une ministre de la mer, ce sujet mérite un réel investissement.
Quel est l’apport des sciences humaines dans la connaissance des GFM ?
Pierre-Yves Le Meur et Valelia Muni Toke, anthropologues à l’IRD (respectivement UMR SENS et SEDYL). Les travaux de Pierre-Yves Le Meur (basé en Nouvelle-Calédonie de 2008 à 2015) ont porté sur les enjeux fonciers, miniers et environnementaux, avec une extension vers les espaces marins dans le Pacifique ; ceux de Valelia Muni Toke sur les relations de populations ultramarines (en particulier à Wallis-et-Futuna) aux services de l’Etat, en particulier dans le champ de la santé, plus récemment concernant les enjeux liés à la mine sous-marine.
Le groupe de travail piloté de main de maître par Jean-Louis Levet pour le Secrétariat Général de la Mer a accouché d’un document d’actualisation de la stratégie française en matière d’exploration et d’exploitation des grands fonds marins qui donne finalement une place importante au renforcement de la recherche, dans une logique interdisciplinaire et en allant au-delà du seul objectif de connaissance finalisée des ressources minérales profondes.
Les enjeux socio-environnementaux, économiques et juridiques associés à l’exploration et l’exploitation des ressources minérales profondes sont des enjeux clefs déclinés dans les 4 priorités du rapport Levet retenu dans la synthèse. Quels sont les équilibres à co-construire ou à créer entre les territoires locaux, les gouvernements et la société civile concernés ?
L’un des enjeux clés de la stratégie française – trop souvent un angle mort de la réflexion – réside dans la capacité de l’Etat métropolitain à réinventer des relations équilibrées avec des territoires d’Outre-mer dotés pour certains (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française) de compétences étendues sur leur domaine maritime (la zone économique exclusive/ZEE).
Coordonnée par l’IRD en 2014-2016, l’expertise collégiale sur les ressources minérales profondes de la Polynésie française, réalisée à la demande du gouvernement de ce territoire et appuyée par le gouvernement français, a constitué un moment important dans cette réflexion, en combinant dans le cadre d’un état des lieux prospectif, une analyse des connaissances et des méconnaissances sur les ressources minérales profondes, les écosystèmes associés, les impacts socio-environnementaux et les enjeux de gouvernance liés à une possible exploitation de ces ressources. Cette expertise proposait aussi un jeu de recommandations articulées en une séquence pensée comme un cadre à une possible politique dans ce domaine et intégrant la possibilité de développer ou non ce secteur, en fonction d’une série de paramètres explicités dans le document. L’expertise a mis l’accent sur le rôle clé de la concertation, de la prise en compte des savoirs et points de vue locaux et de la participation des gouvernements, de la société civile et des autorités coutumières des territoires concernés. Il s’agit in fine de co-construire une politique plus démocratique et responsable. L’enjeu est d’importance, comme le démontrent a contrario les difficultés rencontrées sur ce même sujet à Wallis-et-Futuna dans un contexte d’absence d’autonomie politique et de non-prise en compte des points de vue locaux.
Quels enjeux pour la mise en œuvre de l’exploration des espaces maritimes du Pacifique sud et de la Nouvelle-Calédonie ?
« On construit haut en creusant profond ! ». Proverbe mongol
Lionel Loubersac, directeur associé chez ABYSSA Nouvelle-Calédonie est membre fondateur du Cluster Maritime Nouvelle-Calédonie. Le rapport proposé, vis-à-vis d’enjeux fondamentalement planétaires, préconise légitimement un système participatif qui est lourd d’innovation et de nouvelle gouvernance !
Pour évoquer ce qui est connu des atouts de quelques régions du monde douées, notamment des espaces maritimes du Pacifique sud et de Nouvelle-Calédonie[1], j’exprime ce qui suit, qui s’inscrit dans la suite du Livre Bleu rédigé par le Cluster Maritime local[2] et la mise en place d’une stratégie maritime par le gouvernement calédonien…
Deux grands axes se dégagent, qui ne nous sont pas propres, mais semblent génériques de ceux qui ont notamment la responsabilité d’immenses ZEE :
« Connaître pour mieux gérer et valoriser » avec le renforcement de moyens d’observation, d’exploration et de connaissance,
« Devenir pionnier des nouvelles filières du maritime » avec l’élargissement des compétences dans le domaine des ressources et environnements des grands fonds.
Ces dynamiques, reconnues localement par le Programme Investissement d’Avenir (PIA3) dans le cadre du projet « Territoires d’Innovation » se déclinent ici sur la double base suivante :
. Faire de la Nouvelle-Calédonie le berceau de l’expertise et de l’expérimentation en matière d’observation océanique et de sa préservation avec comme vitrine le Parc Naturel de la Mer de Corail (la plus grande aire marine protégée nationale) et ses espaces adjacents.
. Relever les défis via un pôle d’excellence scientifique, technologique et socio-économique, qui soit base de déploiement d‘outils d’exploration des grands fonds (campagnes océanographiques, création d’Abyssa NC, observatoire fond de mer franco-japonais, câble sous-marin intelligent…)
Les opportunités portées par la Nouvelle-Calédonie et les COM* voisines (Wallis-et-Futuna et la Polynésie française), comme également leur rôle régional[3] et les facteurs d’attractivité que nous savons désormais internationalement considérés seront, comme le souligne le texte d’Yves Henocque, clés dans la mise en oeuvre de la stratégie sur les grands fonds et son développement dans le Grand Pacifique et l’Indo-Pacifique, là où tout se construit et ne cessera de se construire… Ceci, bien sûr à la condition que la volonté politique (État et sans aucun doute l’Europe), les moyens financiers, et le calendrier (à court et long terme) soient annoncés et construits à la hauteur des enjeux.
Une politique nationale des grands fonds marins, opérationnelle et articulée est-elle envisageable et dans quelles conditions ?
Yves Henocque ex Ifremer, Président du comité littoral et mer, Fondation de France ; Vice Président du Plan Bleu
« S’il est essentiel que la France, dotée de la deuxième ZEE au monde, adopte une politique opérationnelle en matière d’exploration et d’exploitation des ressources marines profondes, cette dernière doit être fortement articulée avec une stratégie de positionnement et de partenariats à l’international, aussi bien dans les eaux internationales qu’à partir de ses propres zones économiques exclusives, en particulier dans le sud-ouest de l’océan Indien et dans le Pacifique sud.
Si l’on reprend les catégories d’engagement des Etats telles qu’elles sont décrites dans le rapport et rappelées notamment par les clusters maritimes, en particulier le CMF, la politique adoptée par la France devrait recouper de fait l’ensemble des intérêts qui y sont mentionnés, dans l’ordre : géostratégiques, scientifiques (connaissances), économique et, au final, d’approvisionnement de l’industrie en métaux. Guidée par les considérations géostratégiques, l’acquisition des connaissances ne peut pas se poser en termes de moratoire ; elles sont nécessaires (on ne gère que ce que l’on connait) et sont réclamées par tous les acteurs et décideurs locaux (cf. l’exemple des Iles Cook).
Par rapport aux quatre priorités proposées, il me semble qu’il y a trois enjeux majeurs transversaux : 1) une stratégie internationale articulée au niveau des eaux internationales, qui prenne en compte simultanément les négociations liées aux fonds marins (AIFM) et celles liées aux ressources génétiques marines dans la colonne d’eau (Assemblée générale ONU) ; la cohérence des ‘plans environnementaux’ en dépend*, 2) deuxièmement, des stratégies de partenariat régionales à partir de nos ZEE d’outre-mer, stratégies opérationnelles qui viendraient en appui des négociations menées au niveau des eaux internationales, 3) troisième point fondamental qui correspond à la priorité N°4 du rapport Levet / SG Mer : l’information et la participation des populations et des décideurs locaux, tout particulièrement ceux des territoires et pays insulaires concernés. Le dispositif de gouvernance participatif souhaité doit être en l’occurrence au cœur des stratégies maritimes de chacun de ces territoires en articulation avec leurs partenaires et institutions régionales.
Pour réaliser une telle stratégie intégrée, il est indispensable qu’il y ait un coordinateur (avec une équipe) positionné au sein du dispositif gouvernemental ».
Mais la politique d’un « Etat stratège » doit aussi se donner les moyens financiers fléchés « grands fonds marins » comme le rapport le souligne. A cette condition, l’accès aux programmes français et européens de relance économique sera possible et les équipes scientifiques (publics/privées), pourront maintenir des compétences au niveau international, en dépit d’une Programmation Pluriannuelle Recherche (PPR) qui reste actuellement insuffisante.
Brigitte Bornemann Directrice des publications et Joël Spaës Rédacteur en chef
POINTS DE REPÈRE
Cf. Lionel Loubersac
[1] https://archimer.ifremer.fr/doc/00667/77878/
[2] Le livre bleu réceptionné par le ministère de la mer – CMNC (clustermaritime.nc)
[3] La Nouvelle Calédonie, en particulier, bénéficie d’une représentation diplomatique dans 5 pays du Pacifique Sud (Australie, Nouvelle-Zélande, PNG, Fiji et Vanuatu) qui sont tous des pays très significativement placés face aux enjeux du profond. (Les nouveaux délégués régionaux de la Calédonie sont formés – Nouvelle-Calé (francetvinfo.fr)
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