France – Vendredi 10/11/2017 – energiesdelamer.eu. Partie 3/3 – C’est une transition énergétique « décalée » que le gouvernement – Emmanuel Macron / Edouard Philippe (et Nicolas Hulot) – a proposé au Conseil des ministres du 7/11/2017. Cette décision « orchestrée », plutôt inévitable, est-elle la conséquence du non respect du Grenelle de la Mer et des lois promulguées « Grenelle 1 » de 2009 et « Grenelle 2 » de 2010, ou traduit-elle un manque réel de politique en faveur des ENR en général, énergies marines renouvelables comprises ?
N’était-elle aussi la conséquence d’une législation inadaptée qui a eu pour conséquence des retards et des lenteurs pour un développement consensuel en France des ENR terrestres, fluviales et marines au bénéfice du nucléaire et des énergies fossiles ?
7 novembre 2017 – Un jour pas comme les autres
C’est en pleine COP23, que le Bilan – Analyse de RTE a été présenté à la presse par son président François Brottes, le même jour que la présentation au Sénat du projet de loi relatif à la fin de l’exploitation et de la recherche des hydrocarbures conventionnels et non conventionnels en France et du brief sur la tenue d’une « grande réunion » sur les deux ans de l’Accord de Paris.
Ce même jour, le Conseil des ministres a entériné le report de l’objectif de 50% de nucléaire à l’horizon 2025 contre 72% en 2016 contenu dans la loi Transition énergétique.
RTE et le gouvernement justifient le report de la diminution de la part du nucléaire dans le mix énergétique.
EDF satisfait
« Il faut se fixer des objectifs réalistes et pertinents au plan industriel. 2025, c’était irréaliste », se satisfait Alexandre Grillat, de la CFE-CGC d’EDF. Jean-Bernard Lévy, président d’EDF avait fait savoir qu’à ses yeux, la part du nucléaire dans l’offre électrique nationale devrait à terme diminuer, mais pas de façon aussi rapide ».
Le compte rendu du Conseil des ministres n’évoque pas les estimations des différents experts sur la prolongation des centrales qui devraient coûter entre « 500 millions et 1 milliard d’euros par réacteur », puis ensuite viendra le démantèlement des sites…
Peut-on modifier une loi sans repasser par le Parlement ? Quelles en seraient les conséquences pour l’Etat français si le gouvernement ne respecte pas la loi ? Il est important d’en comprendre les raisons.
Le juriste Arnaud Gossement a publié une tribune dans Green Univers dont on peut prendre connaissance sur le site de son Cabinet.
« Officiellement, c’est donc le souci d’atteindre les objectifs de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre qui semble justifier la révision de l’échéance de réalisation de l’objectif de réduction de la part du nucléaire. Pour le juriste, la première réaction est celle de l’étonnement : la loi relative à la transition énergétique n’est pas si ancienne – 2015 – qu’il semble déjà nécessaire de la modifier. De deux choses l’une : soit la loi de 2015 comporte un objectif « irréaliste » et il faut s’interroger sur la raison pour laquelle il a quand même été voté par la majorité d’alors. Soit cette loi, faute d’avoir été appliquée plus tôt, est devenue inapplicable. Dans tous les cas, c’est l’autorité de la Loi qui est ici affaiblie et il est important de savoir pourquoi avant de voter une nouvelle loi. Car il pourrait advenir à la prochaine loi fixant le nouvel objectif nucléaire le même sort qu’à la précédente.
Les conséquences juridiques
Cette annonce appelle néanmoins deux commentaires sur le seul plan du droit.
Premièrement, le gouvernement semble ici considérer que la modification d’une des composantes de l’objectif de réduction de la part du nucléaire pourrait être réalisée au sein de la seule PPE, c’est-à-dire par décret, sans modifier la loi. Or, l’objectif a bien été défini par une loi, celle du 17 août 2015. Tant que cette loi n’a pas été modifiée par une nouvelle loi, la PPE – dont la deuxième période est actuellement discutée – doit lui être conforme et être élaborée en fonction de l’objectif de réduction de la part du nucléaire tel que défini actuellement. Il appartient donc au Parlement, sur rapport du gouvernement (article 100-4 du code de l’énergie) de faire le bilan de la mise en œuvre des objectifs de la loi relative à la transition énergétique et, le cas échéant, d’engager leur révision. Pour l’heure, le projet de deuxième période de la programmation pluriannuelle doit tenir compte des objectifs de la loi du 17 août 2015. A terme, une fois la loi modifiée pour réviser l’échéance de 2025, il sera également nécessaire d’abroger ou de modifier le décret n° 2016-1442 du 27 octobre 2016 relatif à la PPE ainsi que ses annexes.
En deuxième lieu, à supposer que le gouvernement dépose un amendement ou un projet de loi devant le Parlement pour modifier l’échéance de réalisation de l’objectif de réduction de la part du nucléaire, le problème demeure entier. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, modifier l’échéance ne sert à rien si les raisons pour lesquelles celle-ci ne peut plus être respectée n’ont pas été identifiées. D’une certaine manière, la réflexion devrait prioritairement porter, non pas uniquement sur des scenarii ou sur des dates mais sur les outils juridiques dont dispose l’Etat pour piloter le parc nucléaire. Les questions sont : comment en sommes-nous arrivés là ? Pourquoi faut-il réviser la loi de 2015 à peine deux ans après son entrée en vigueur ? L’Etat dispose-t-il des moyens pour atteindre cet objectif ?
Une politique énergétique fixée en droit par l’Union européenne
L’annonce gouvernementale d’une révision de l’échéance de réalisation de l’objectif de réduction de la part du nucléaire ne doit pas être faire oublier que les objectifs de notre politique énergétique sont d’abord fixés en droit de l’Union européenne. L’objectif de développement des énergies renouvelables demeure donc inchangés.
La part d’énergie produite en France à partir de sources renouvelables dans la consommation d’énergie finale brute, doit en 2020, être de 23% conformément à la directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables. Et la déclinaison de cet objectif par type d’énergie doit rester conforme à cet objectif global de 23% sous le contrôle de la Commission européenne.
Paradoxalement, l’annonce de la révision de l’échéance de réalisation de l’objectif de réduction de la part du nucléaire dans notre production d’électricité pourrait s’avérer être d’abord une mauvaise nouvelle pour le secteur nucléaire lui-même. Ce dernier a besoin d’une feuille de route pour éclaircir son avenir et dégager les financements nécessaires à la mise à l’arrêt et au démantèlement de centrales dont la sûreté est régulièrement questionnée par l’autorité de sûreté nucléaire. Les énergies renouvelables continueront de se développer et vivent déjà une révolution sans précédent dans le reste du monde.
La question que pose le portail energiesdelamer.eu au Cabinet Gossement est : si l’Etat ne respecte pas une partie de la Loi sur la transmission d’énergétique quelles pourraient en être les conséquences ?
La « décision » de report était attendue selon Matthieu Orphelin
Le député LREM du Maine-et-Loire, ancien porte-parole de la Fondation Nicolas-Hulot déclare « On savait que cet objectif était compliqué». Dans un communiqué commun avec la députée de la Somme, Barbara Pompili, présidente de la commission du développement durable de l’Assemblée nationale, il note que l’un des scénarios présentés par RTE « y arrive presque » : ce scénario de RTE, dénommé Ampère, prévoit une réduction à 50 % en 2030, avec la fermeture de 18 réacteurs (dont les deux unités de Fessenheim), sur les 58 aujourd’hui en exploitation, et une augmentation très significative des énergies renouvelables.
Peut-on en déduire que l’Etat est pragmatique ?
Compte rendu du conseil des ministres du 7 novembre : La trajectoire d’évolution de l’énergie électrique
« Le ministre d’Etat, ministre de la transition écologique et solidaire (Nicolas Hulot) a présenté les scénarii d’évolution de la consommation d’électricité et du parc de production électrique à l’horizon 2035. RTE est chargé par la loi d’actualiser régulièrement un bilan prévisionnel de l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité.
Ces travaux d’expertises apportent des éléments objectifs importants au Gouvernement en vue de la révision de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui doit intervenir d’ici fin 2018.
Malgré le développement volontariste des énergies renouvelables que va entreprendre le Gouvernement, et du fait de la faible maturité à court terme des solutions de stockage, la France serait contrainte de construire une vingtaine de nouvelles centrales à gaz dans les sept prochaines années pour assurer la sécurité d’approvisionnement lors des pointes de consommation, conduisant à une augmentation forte et durable de nos émissions de gaz à effet de serre ….. Sans attendre l’aboutissement des travaux de la PPE, le Président de la République a demandé au ministre d’Etat, de préparer au cours du premier trimestre 2018 un plan d’actions pour simplifier fortement le développement des projets de production d’énergie renouvelable et accroître notre ambition en la matière au meilleur coût pour la collectivité…
Le Président de la République a également demandé à Nicolas Hulot et au ministre de l’économie et des finances, Bruno Lemaire, d’intensifier l’engagement de la France, en lien avec ses partenaires européens, pour encourager l’innovation et favoriser l’émergence de filières industrielles dans le domaine du stockage d’énergie.
Et maintenant, qu’allons nous faire ? Retour sur quelques avis d’experts
Alain Grandjean
Le mois dernier, l’économiste justifié dans une interview à Alternative économique «l’impossibilité, sur un plan social et industriel, de fermer une vingtaine de réacteurs en sept ans, alors que le rythme des énergies renouvelables était beaucoup trop lent ».
Répondant aux questions du mensuel, il avait déclaré « ll faut organiser les arrêts d’exploitation, préparer les reconversions humaines et économiques dans un secteur qui emploie directement ou indirectement près de 200 000 personnes, lancer les travaux de démantèlement… Par ailleurs, le rythme de déploiement des énergies renouvelables est beaucoup trop lent pour compenser d’ici à 2025 ces effacements de capacités.
En revanche, programmer dès à présent l’arrêt d’une vingtaine de réacteurs et le mettre en oeuvre à partir de 2020, à un rythme maîtrisé et anticipé sur dix à quinze ans est un scénario réaliste. Mais atteindre les 50 % entre 2030 et 2035 sera quand même un défi : il faudra parallèlement quadrupler le rythme actuel de développement des renouvelables, et donc lever les obstacles, administratifs notamment, à leur déploiement.
AE – La question du renouvellement de ce parc réduit va également se poser. Par quoi faudra-t-il remplacer les réacteurs arrivés en fin de vie ? Par des réacteurs neufs ou par des sources renouvelables ?
Alain Grandjean – S’agissant du nucléaire neuf, l’EPR développé par la France est un échec. Celui de Flamanville, lancé en 2006 sur un devis de 3,3 milliards d’euros pour une mise en service en 2012, est aujourd’hui évalué par EDF à plus de 10 milliards (hors intérêts financiers liés aux dépenses immobilisées), avec une mise en service au mieux en 2020. Le coût de revient du MWh produit à Flamanville dépassera les 120 euros. Au Royaume-Uni, EDF a obtenu du gouvernement britannique une garantie de prix de 110 euros/MWh pendant trente-cinq ans pour ses deux EPR prévus sur le site d’Hinkley Point.
« A l’horizon 2030, le coût de revient des énergies renouvelables devrait être inférieur à 80 euros le MWh » même pour l’éolien offshore.
Toujours d’après Alain Grandjean, EDF « a ainsi pris un risque important sur ce projet, non sans un vif débat interne, marqué par la démission de son directeur financier (Thomas Piquemal, aussitôt remplacé par Xavier Girre et confirmé quelques semaines plus tard comme Directeur Exécutif Groupe en charge de la Direction financière )
Surtout, à l’horizon 2030, le coût de revient des énergies renouvelables, y compris leur coût de raccordement et de backup devrait être inférieur à 80 euros le MWh. La compétitivité future du nucléaire neuf nécessiterait donc de diviser par deux les coûts de construction, ce qui ne s’obtiendra en aucun cas par de simples optimisations de l’EPR actuel.
Il est donc souhaitable de ne pas décider la construction d’un nouveau réacteur avant cinq à dix d’années, le temps d’évaluer s’il est possible de construire un équipement correspondant aux standards actuels de sécurité et susceptible d’être compétitif et commercialement pertinent….
Philippe Veysseron et André-Jean Guérin* Il y a le nucléaire, mais aussi les énergies fossiles.
Philippe Vesseron (ancien Président du BRGM) et André-Jean Guérin (Membre du CA de la Fondation Nicolas Hulot) avaient publié dans Les Echos il y a quelques jours une tribune dans laquelle on peut lire «les effets potentiellement négatifs pour les territoires (d’arrêter l’exploitation des énergies fossiles), en rappelant le coût social de la fermeture des mines de charbon. La question symétrique de l’évaluation des bénéfices indirects associés à un projet d’infrastructure est une difficulté classique de l’aménagement du territoire.
Sur le seul sujet de l’emploi, l’INSEE compte pour Fessenheim 850 salariés d’EDF mais près de 5000 personnes dont les revenus dépendent de la centrale, d’autres ratios sont encore plus élevés : par exemple un lac de barrage hydroélectrique est une réserve d’eau et un atout touristique, fonctions dont le poids total peut être 20 ou 40 fois plus important que les emplois directs de la centrale ; de même, la qualité des services publics dans les communes concernées est un atout réel mais peu facile à mesurer »…
Françoise Férat, sénateur de la Marne et oratrice du Groupe UC au Sénat va dans le même sens en déclarant «il ne faut pas oublier que ces exploitations (énergies fossiles) engendrent des revenus financiers importants pour les collectivités ; dans la Marne, permettez-moi d’associer mes collègues Yves Detraigne et René-Paul Savary, où nous avons des idées mais aussi un peu de pétrole, les ressources de la redevance communale et départementale des mines représentent 1,8 millions d’euros. On pourrait additionner l’ensemble des départements impactés par cette législation ! Aussi, ces installations assurent des centaines d’emplois directs et indirects et qu’elles permettent des avancées scientifiques pour la géologie par exemple »…
La transition énergétique est-elle encore pour un long moment encore en cours ?
D’ailleurs, comment le gouvernement pourra-t-il s’appuyer sur l’Autorité de sûreté nucléaire ?
En effet, l’ASN devait rendre en 2018 un avis général sur la prolongation des centrales atomiques au-delà de quarante ans. Mais cet avis ne sera probablement pas rendu avant la fin du quinquennat.
Alors, il ne reste plus qu’à mentionner le Monde et plus particulièment Cyrille Cormier de Greenpeace France, l’exécutif ne pourra pas s’en remettre au « gendarme de l’atome » pour décider en 2018 quels réacteurs devront être stoppés, et pour quelles raisons. « Si Nicolas Hulot est toujours ministre au moment où sera arrêtée la nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), il n’est pas envisageable que ne soient pas mentionnés un nombre de réacteurs à fermer et un calendrier ».
Points de repère
Lois
Livre Bleu des engagements du Grenelle de la Mer 10 et 15 juillet 2009
Loi Grenelle 1 promulguée le 3 août 2009
Loi Grenelle 2 promulguée le 12 juillet 2010
Loi transition énergétique du 17 août 2017
ADEME
Document : Visions ADEME 2035-2050 paru en octobre 2017
Politiques en vigueur – Les lois Grenelle et Transition énergétique pour la croissance verte – Mis à jour le 04/01/2017
GIEC
À sa quarante-troisième session, en avril 2016, le GIEC est convenu que le rapport de synthèse afférent au sixième Rapport d’évaluation serait achevé en 2022, à temps pour le premier bilan mondial prévu au titre de la CCNUCC. Il s’agira pour les pays d’évaluer les progrès accomplis en vue de réaliser leur objectif qui est de contenir le réchauffement mondial bien en deçà de 2 °C, tout en poursuivant l’action menée pour limiter la hausse des températures à 1,5 °C. Les contributions des trois groupes de travail seront prêtes en 2021.
Auparavant, le Groupe d’experts a répondu favorablement à la demande formulée par la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), qui l’avait invité à présenter un rapport spécial en 2018 sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels et les profils connexes d’évolution des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Il a aussi décidé d’établir deux autres rapports spéciaux: l’un sur le changement climatique et ses incidences sur les océans et la cryosphère et l’autre sur le changement climatique, la désertification, la dégradation des sols, la gestion durable des terres, la sécurité alimentaire et les flux de gaz à effet de serre dans les écosystèmes terrestres. Ces rapports paraîtront dès que possible dans le cadre du cycle d’élaboration du sixième Rapport d’évaluation.
Fondation Jean Jaurès
11/02/2016 – EDF : Face aux défis financiers – Février 2016 – Collectif d’experts « Energie et développement durable »
Quelle stratégie énergétique et climatique pour la France ? – Collectif d’experts « Energie et développement durable »
Institut Montaigne
Nucléaire : L’heure des choix – Rapport Juin 2016
Recommandé
Après ces différentes annonces ministérielles Nicolas Hulot se trouve chahuté. Le dernier dessin de Plantu dans le Monde du 8/11/2017 montre Nicolas Hulot sur une bicyclette avec comme légende « le rétropédalage, c’est une nouvelle forme d’énergie ».
Revue de presse – Sources : Alternatives économiques, Les Echos, Le Monde, Sciences et Avenir ….
Brigitte Bornemann
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